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militante, et elle était arrivée à ce moment où les ennemis désarmés ajournent leurs espérances. Le jeu des institutions s’accomplissait régulièrement. On croyait avoir devant soi le temps et l’espace, puisqu’on avait triomphé jusque-là de tous les obstacles, puisqu’on avait vu s’amortir le feu des luttes ardentes des premières années, puisqu’on avait duré. C’était beaucoup en effet ; à n’observer que l’apparence des choses, l’avenir semblait promis à un régime qui trouvait sa force tout à la fois dans une fixité consentie par le pays lui-même et dans une flexibilité d’institutions qui pouvait se prêter à tous les progrès. L’œuvre politique de la fondation d’une monarchie nouvelle semblait accomplie. Moralement la France était plus malade qu’on ne le croyait. Elle avait ce mal que Lamartine résumait dans un mot, — l’ennui ! — le mal de la stagnation et de l’immobilité, le mal d’un dégoût instinctif, irréfléchi peut-être, mais croissant, pour une politique qui lui faisait (elle le pensait ainsi) la paix trop modeste à l’extérieur, un progrès libéral trop lent à l’intérieur. La France souffrait un peu de ce mal des peuples qui ne vieillissent pas quant à eux, qui se renouvellent sans cesse au contraire, qui se retrempent chaque jour pour l’action, en face d’un règne vieillissant, et c’est ce que le prince de Joinville lui-même caractérisait merveilleusement lorsque vers 1847, seul sur son navire, au fond du golfe de la Spezzia, il sondait l’avenir, dont il commençait à s’effrayer, lorsque de loin, dans une lettre à un de ses frères, avec un respect filial qui n’excluait pas une clairvoyance rare, il parlait de la situation qu’il voyait s’aggraver rapidement, du danger de « la vieillesse d’un roi qui veut gouverner, mais à qui les forces manquent pour prendre une résolution virile. » En d’autres termes, à côté ou en dehors de la France officielle qui se laissait vivre, qui parlait par ses conseils, par ses journaux, par son parlement, il y avait une France inquiète, agitée, chatouilleuse, impatiente, fatiguée de voir toujours les mêmes Hommes et les mêmes choses, se nourrissant avec complaisance de ses mécontentemens et de ses malaises, prompte à s’émouvoir de tout et à chercher dans des accidens de corruption ou dans d’effroyables drames de famille les fatalités d’un régime politique.

Que dirai-je ? Il y avait la France telle que la voyait M. Guizot lorsque pour écarter des réformes il affirmait que « toutes les grandes conquêtes étaient faites, » que « tous les grands intérêts étaient satisfaits, » qu’on n’avait plus besoin que de stabilité et de bonne conduite, que tout le reste n’était qu’un superficiel prurit d’innovation, la démangeaison d’une petite société maladive s’agitant au détriment de la grande société saine et tranquille. Il y avait aussi, à n’en pas douter, cette France entrevue, sentie ou devinée par Lamartine,