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équipées, sans armes, sans munitions, sans vivres, sans discipline, sans ressort. Tel était l’abîme d’où il allait tirer la patrie éplorée.

Le grand effort de la révolution est caractérisé, comme l’a dit M. Michelet, par une immense réquisition de toutes les forces de la France pour défendre le sol national. A chacun fut assigné dans l’œuvre commune son poste ou son devoir. Les jeunes gens devaient aller au combat, les hommes mariés forger des armes et transporter les subsistances, les femmes faire des tentes, des habits, servir dans les hôpitaux ; les enfans étaient requis pour mettre les vieux linges en charpie. Les maisons nationales furent converties en casernes, les places publiques en ateliers d’armes ; le sol des caves devait être lessivé pour en extraire le salpêtre. Les chevaux de selle, étaient requis pour compléter les corps de cavalerie, les chevaux de trait, autres que ceux employés a l’agriculture, pour conduire l’artillerie et les vivres. Une armée de 900,000 hommes fut bientôt levée ; mais il fallait l’organiser, la mettre en état de défendre le pays et assurer l’efficacité de son héroïsme. La république sut y pourvoir avec une activité qu’on n’admirera jamais assez, car tout était à créer ou plutôt à improviser. C’est ici que la science dut intervenir.

La poudre manquait absolument. On sait que la poudre a pour principal élément le salpêtre naturel, alors tiré de l’Inde, et les arrivages de l’Inde avaient forcément cessé. Dès la première réunion des savans chargés de pourvoir aux besoins, la difficulté parut telle que tous les esprits en furent un peu troublés ; ces savans étaient pourtant Fourcroy, Berthollet, Chaptal, Guyton-Morveau. Ces hommes éminens allaient peut-être désespérer, quand l’un d’eux, Monge, fit observer que les écuries, les caves, les lieux sombres et humides, renferment beaucoup plus qu’on ne croit de salpêtre facile à extraire. « On nous donnera de la terre salpêtrée, s’écria-t-il, et trois jours après nous en chargerons les canons ! » La terre salpêtrée contient surtout du nitrate de chaux ; le salpêtre proprement dit est du nitrate de potasse. Pour avoir le salpêtre pur, il faut donc faire subir une manipulation à cette terre salpêtrée et y ajouter de la potasse pour la convertir en salpêtre pur. Perthuis et Vauquelin firent connaître les moyens de récolter une grande quantité de potasse dans toute l’étendue du pays par la combustion des végétaux et le lessivage des cendres. Tous les citoyens furent astreints à incinérer les substances capables de fournir des salins. Un décret leur prescrivit également de se livrer à l’exploitation du salpêtre brut et à l’installation de nitrières artificielles. Des instructions simples et lucides furent répandues à cet effet sur tous les points du territoire. En même temps la chimie inventait des procédés expéditifs pour la transformation et le raffinement des matériaux ainsi obtenus. Le nombre des ateliers particuliers ou