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C’était leur intérêt qu’il fût tout-puissant dans Rome, afin qu’il eût beaucoup d’or et de terres à donner ; c’était leur intérêt qu’il se rendît maître de l’état, et qu’il s’emparât de la république pour la distribuer à ses soldats.

Le premier qui fut le chef de pareils hommes fut Marius. Avec eux, il vainquit Jugurtha et extermina Cimbres et Teutons ; mais il fallut pour cela qu’on le laissât quatre années de suite à la tête de ses troupes. Habitué à vivre au milieu d’elles, loin de Rome, il oublia et leur fit oublier la cité et les lois. Un jour qu’on lui faisait observer qu’il avait commis un acte illégal, il se contenta de répondre que le bruit des armes l’empêchait d’entendre la voix des lois. C’était la première fois qu’on voyait pareille chose chez les Romains. On vit ensuite à Rome une autre nouveauté : ce fut l’enthousiasme pour la gloire militaire. Cette sorte d’engouement, que les anciennes générations de Rome n’avaient pas connu, éclata pour la première fois en faveur de Marius ; c’était l’indice d’un changement dans les idées et dans les mœurs, le symptôme d’un nouvel état psychologique de Rome, l’annonce d’une révolution qui semblait dès lors prochaine. Marius, à la faveur de cet enthousiasme, fut quelque temps le maître de Rome. S’il ne se fit pas monarque et empereur, c’est parce qu’il licencia son armée, et qu’il voulut devenir chef de parti. A la tête d’une armée, il était tout-puissant ; à la tête d’un parti, il fut sans force.

L’histoire de Sylla montre bien ce qu’étaient alors les armées romaines. Mithridate menaçait l’empire de Rome en Orient ; de là une guerre, une armée à lever, un riche butin à distribuer, des soldats à satisfaire et à gagner, un moyen enfin d’être le maître. Marius et Sylla se disputèrent la direction de cette guerre lucrative. Sylla se fit donner le commandement par le sénat, Marius se le fit donner par le peuple dans une émeute produite par ses anciens soldats. Ce fut le signal d’une première guerre civile. Sylla, vainqueur, ne profita de cette première victoire que pour prendre possession de son commandement, de sa guerre. Avoir une guerre allait être désormais le but premier de tous les ambitieux. Il se porta en Grèce, détruisit sans peine les armées du roi de Pont, et distribua à ses soldats le pillage d’Athènes et de Thèbes et les immenses richesses de Delphes ; mais en ce moment une nouvelle révolution éclata dans Rome. Quelques hommes qui se disaient chefs du parti populaire, comme Sylla se disait chef du parti oligarchique, s’emparèrent du pouvoir, et ne s’en servirent que pour prendre possession à leur tour de la guerre contre Mithridate ; l’un d’eux conduisit une armée contre le roi de Pont. Avant d’arriver en Asie, il fut assassiné par son lieutenant, Fimbria, qui fut proclamé