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ouvrières soit renouvelé ? On ne voit évidemment cela que dans un pays où l’esprit d’aventures tourne les têtes. Être ouvrier, c’est une condition qu’on traverse faute de mieux ; on ne s’y arrête pas, et au premier appel de l’imagination on passe outre. C’est le cas des jeunes filles de Lowell, engageant leurs services pour se former une dot et quittant l’atelier dès que cette dot est faite. Ce peuple a liberté de choisir, il en use ; il a de l’espace devant lui, il en profite.

Devant une si grande mobilité, il semble que les entrepreneurs d’industrie pourraient se croire dispensés des obligations du patronage, dispensés surtout de fournir des logemens à des cliens qui prennent si facilement congé. C’est le contraire. Dans aucun pays de fabrique, on ne porte un soin plus attentif à la condition de l’ouvrier, à son bien-être, au ménagement de ses ressources. Que les hommes attachés à un établissement en sachent ou n’en sachent pas gré au patron, ce n’en est pas moins pour ce dernier un devoir de leur rendre autant que cela dépend de lui l’existence moins coûteuse et plus facile. Le logement vient en première ligne : tenir les hommes à portée de leurs ateliers est à la fois de l’intérêt des ouvriers et des maîtres. Aussi dans la généralité des cas l’usine est-elle entourée de maisons qui en-dépendent. Les gérans des Pacific Mills, que nous citions tout à l’heure, en ont construit plusieurs groupes qui demeurent à la disposition de leurs ouvriers, si nomades qu’ils soient. Chaque maison à un ou deux étages est bâtie avec soin, en briques rouges généralement, et entourée d’un petit jardin. Les locations, chères pour la France, passent pour très modérées aux États-Unis. Une maison pour famille avec trois chambres se loue 52 dollars (202 fr.), avec huit chambres 150 dollars (685 fr.) par an. Quelquefois un ouvrier emploie ses épargnes à une de ces constructions, et trouve soit dans la caisse de son patron, soit auprès des banques, des facilités exceptionnelles ; on lui avance la moitié de la somme à débourser, avec des termes très avantageux de libération. Quant aux célibataires, garçons ou filles, leurs essaims se partagent entre des boarding houses, pensions particulières, dont Lowell a fourni les premiers modèles. M. Engel en a visité plusieurs. La tenue lui en a paru excellente ; elles offrent toutes les garanties que l’on peut désirer. La règle est celle d’un externat qui comporte quelques assujettisse-mens, par exemple d’être rentré le soir à dix heures. L’une de ces pensions logeait et nourrissait 200 jeunes ouvrières, une autre logeait et nourrissait 40 femmes ; en outre 20 hommes qui habitaient des maisons voisines venaient y prendre leurs repas. Les chambres, petites en général, sont bien aérées et d’une propreté extrême ; elles contiennent, suivant la grandeur, un lit à deux personnes, ou deux lits à deux personnes. Il y a de plus dans la