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témoins ? comment, dans tous les cas, garder comme pourvoyeurs habituels des marchés sujets à de tels fléaux ? Ainsi ce que l’instinct seul avait d’abord conseillé, les événemens ont pris à tâche de le justifier, et le calcul des Américains, très étroit en principe, se convertit chaque jour, par la force des choses, en une plausible prévoyance.

Il faut donc s’attendre avoir le parti politique qui défend à outrance le privilège manufacturier aux États-Unis profiter des tristes temps d’épreuve que traverse notre continent. On sait que ce parti est celui qui, ayant conduit la dernière guerre, gouverne depuis lors la confédération. Son pouvoir paraissait ébranlé par l’abus qu’il en a fait ; nos calamités sont de nature à le raffermir. Elles viennent à l’appui de cet argument souvent reproduit devant le congrès, que le rôle de l’Europe est fini, et qu’il est temps de la suppléer dans tous ses modes diction sur l’Amérique. Ce serait tout uniment notre exclusion ; avant d’y souscrire, il est bon d’examiner les faits. Déjà du reste la Revue avait appelé l’attention sur ce sujet, notamment dans un très bon travail de M. John Minet[1] ; voici aujourd’hui, sous une date très récente, un document qui rectifie sur quelques points les renseignemens antérieurs, et qui les complète sur tous les autres. C’est le récit digne de créance d’une tournée faite aux États-Unis dans les districts de fabriques. L’auteur, M. Alfred Engel, appartient à l’une des plus honorables familles de l’Alsace, celle de M. Jean Dollfus ; petit-fils et fils de manufacturiers, manufacturier lui-même, il parle de ce qu’il a étudié et vu, simplement, sincèrement, sans l’ombre de parti-pris et avec l’autorité d’un homme qui a vécu au sein des ateliers. Avant de publier son mémoire, il l’a soumis, dans une suite de lectures, à ses juges naturels, les membres de la Société industrielle de Mulhouse, qui en ont ordonné l’insertion dans leur bulletin. Ces conditions de recherche et de contrôle ne sont pas communes, et font de M. Alfred Engel un guide sûr et des mieux informés.


I

Dès qu’on débarque à New-York, l’engouement du public pour ce qui est de provenance locale frappe inévitablement les yeux. Si à Paris c’est l’étiquette anglaise qui prévaut dans les enseignes et les étalages, à New-York c’est l’étiquette américaine partout on la retrouve dans des proportions et avec des assortimens qui étonnent. On cite par exemple la maison A. T. Steward, dont le chef a été

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1869.