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Berlin n’allait plus être dans Berlin : tout le monde courait sur les lieux où se décidait le sort de la patrie, les hommes dans les rangs de l’armée, les femmes dans les lazarets. On peut imaginer les souffrances qu’une guerre aussi terrible devait entraîner et la nécessité d’y porter remède au secours. Il faut le dire, l’humanité et la charité des femmes furent à la hauteur de la tâche. On sait la part que les femmes allemandes eurent dans le mouvement de 1813. Cela rappelle les plus beaux exemples donnés par les nobles Italiennes qui de nos jours se sont dévouées à la cause nationale. A Kœnigsberg aussi, une femme animait et encourageait le cercle des patriotes : c’était la fille de l’illustre Scharnhorst, la comtesse Frédéric de Dohna, « la plus belle héritière de l’esprit paternel, vraie souveraine de l’enthousiasme, rayonnante de jeunesse, de beauté et de grandeur d’âme. » Arndt a peint cette maison de Kœnigsberg où pendant un moment toute la Prusse semblait s’être concentrée. « Tous les Dohna étaient à la hauteur du temps. Leur maison, leurs amis et compagnons formaient comme la couronne de fleurs de la société de Kœnigsberg ; mais la véritable reine… était la superbe Julie, tout imprégnée de l’esprit de son père. En sa figure, en ses sentimens, en ses manières même, elle était la vivante image du noble Scharnhorst : svelte, blonde, belle, avec de vrais yeux de Thusnelda, bleus comme l’azur du ciel, tels qu’on aime à les prêter aux filles du Hartz et du Weser, de ce pays des Cherusques où s’élevait la maison rustique des pauvres parens de Scharnhorst. » On forma un comité de trente femmes appartenant à toutes les classes de la société et à toutes les confessions religieuses. Sept princesses du sang en faisaient partie au même titre que des boutiquières : Henriette Herz, Rahel, Mme Fichte, se distinguèrent par leur zèle au milieu du zèle général. Fichte lui-même avait voulu partir comme simple soldat. Les trois neveux d’Henriette étaient sur les champs de bataille, où l’un d’eux fut grièvement blessé. Ceux qui ne pouvaient servir la cause nationale ni par le bras, ni par les soins donnés aux blessés, la servirent de leur bourse. Les caisses de l’état étaient vides, celles des particuliers n’avaient guère pu se remplir dans la stagnation de toutes les affaires qui avait précédé le soulèvement, et il fallait à tout prix de l’argent pour équiper les volontaires. Malgré l’épuisement général du pays, on trouva des ressources inattendues : les Juifs de Berlin donnèrent des sommes considérables. Les fonctionnaires renoncèrent, qui à un tiers, qui à la moitié de son traitement. Les offrandes en nature ne cessèrent d’arriver aux comités ; les femmes apportaient leurs bijoux, jusqu’à leurs alliances, et recevaient en échange des anneaux de fer, conservés depuis comme des reliques dans les familles, tandis que le roi envoyait sa vaisselle plate à la monnaie.

Le mois de juin — au moment de l’armistice qui avait consterné