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hautement le margrave, dont les déportemens insensés furent plus tard réprimés par la justice de son pays. Il ne faut pas confondre cet extravagant Albert avec un autre margrave de ce nom[1]. Celui-ci était grand-maître de l’ordre teutonique en 1525, et à ce titre administrateur de la vieille Prusse, vaste territoire conquis jadis par l’ordre sur les Slaves ses voisins. Albert, le grand-maître, embrassa chaudement la réforme ; s’appliquant à lui-même la sécularisation générale proclamée par Luther, il se maria et s’appropria, comme duc souverain, une partie des provinces qu’il gouvernait comme grand-maître, secondé, il faut le dire, par le roi de Pologne, son oncle, avec lequel il partagea la proie. Il fut mis au ban de l’empire à Augsbourg en 1530 ; mais, non moins prudent pour conserver qu’il avait été prompt à acquérir, il évita de trop se commettre, resta au nombre des confédérés fidèles à Maurice, demeura possesseur de la Prusse ducale en vertu de la transaction de Pas-sau, et comme ami de la France obtint d’Henri II d’être compris dans l’uti possidetis du traité de Vaucelles, conclu entre la France et Charles-Quint en 1556.

Mais revenons à 1552. Charles-Quint, surpris par un revers inouï de la fortune, renversé à l’improviste par un ennemi dont il n’avait pas soupçonné la force et la valeur, qu’il croyait avoir étouffé quand il ne l’avait que terrassé, rejeté subitement à Inspruck des hauteurs de la majesté triomphante dans les anxiétés d’une fuite humiliée par un prince, son sujet, qui l’avait parfaitement trompé, lui le trompeur universel et couronné ; Charles V, étonné, mais non abattu, s’était relevé rugissant et avisé tout à la fois. De deux adversaires qu’il avait sur les bras, il avait fait la paix à tout prix avec l’un, et il s’apprêtait à écraser l’autre de tout le poids de ses forces réunies, se promettant d’en faire un exemple mémorable aux yeux de l’Europe attentive à ce spectacle tout nouveau. Délivré, par le traité de Passau, du souci de l’Allemagne, dont il espérait bien avoir raison plus tard, c’était dans Metz, lieu choisi par son ressentiment, qu’il comptait immoler son autre adversaire à sa vengeance, se proposant de punir du même coup une ville infidèle de l’empire et le fils oublieux du vaincu de Pavie. Metz, fortifiée par la nature, était bien loin alors d’avoir reçu de l’art l’accroissement de

  1. A la mort d’Albert l’Achille, deuxième électeur de Brandebourg, de la maison de Hohenzollern (1486), ses domaines avaient été partagés. L’électorat fut transmis au fils aîné, Jean Cicéron, dont les descendans ont gardé la couronne électorale et sont devenus rois de Prusse. Les autres biens d’Albert l’Achille, compris dans l’ancien burgraviat de Nuremberg, alors transformé en margraviat d’Anspach et de Bayreuth, passèrent au fils cadet, Frédéric, duquel sont descendus les premiers marquis de Brandebourg. Albert, grand-maître de l’ordre teutonique, était fils de ce margrave Frédéric-Albert l’Alcibiade et son cousin George-Frédéric, signataires du traité de 1551, étaient les petits-fils de Frédéric et les neveux du premier duc de Prusse.