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patrie qu’il entend chanter, Was ist des Deutschen Vaterland ? Ce fut le moment où Max de Schenkendorf fit entendre sa Marseillaise sentimentale, « Liberté, douce image d’anges qui demeure parmi les étoiles célestes, » — que le jeune Rückert lança ses Sonnets cuirassés, — que Théodor Kœrner fit résonner Lyre et Épée. Lui aussi avait abandonné une fiancée, et s’était engagé comme volontaire dans la troupe noire de Lutzow, qu’il a si bien chantée ; lui aussi devait trouver sur le champ de bataille cette mort qu’il avait célébrée comme la plus belle des morts. Il n’avait pas vingt-deux ans, et déjà son nom était aimé et populaire dans toute l’Allemagne. Nul doute que ce talent si précoce, si étonnamment fécond et facile, n’eût légitimé toutes les espérances du pays, s’il lui avait été permis de vivre et de mûrir. Ce fut son propre père, l’ami le plus intime, le correspondant journalier de Schiller, qui arma son fils pour le combat et répondit par la confiance aux doutes de Goethe. « Secouez toujours vos chaînes, lui avait dit le poète vieillissant ; l’homme est trop grand ! Vous ne les briserez pas ! »

Stein et ses amis avaient meilleur espoir. Le terrible ministre avait été mis à la tête du gouvernement provisoire qui, sous le titre d’administration centrale, dirigeait les pays allemands que le soulèvement délivrait. Stein, plus clairvoyant que les pessimistes, ne se méfiait que des princes ; l’expérience lui avait enseigné qu’il n’y avait de salut qu’en un mouvement populaire, et il ne ménageait pas, dans ses violentes sorties, les souverains oublieux de leur devoir. Plût à Dieu que tous les princes allemands eussent pu écouter ses leçons et en faire leur profit ! Les tristes jours de la restauration ne seraient point venus éteindre l’enthousiasme de 1813 ; mais ce n’est point l’histoire politique de l’Allemagne que je me suis proposé d’écrire, — il est temps de m’en souvenir, — c’est l’histoire de la société allemande d’alors. Il est vrai qu’il y a des jours où l’histoire nationale et politique absorbe tout, où société, enseignement, littérature, arts, philosophie, semblent ne plus exister ou servir exclusivement la passion universelle du moment : 1813 fut un de ces momens pour l’Allemagne du nord. Les universités et les collèges suspendirent leurs, cours, les tribunaux et les bureaux d’administration se vidèrent, comme les comptoirs et les ateliers. Beaucoup de Bradamantes patriotiques, parmi lesquelles il faut citer Prochaska et de Krüger, sont restées célèbres ; on se rappelle aussi l’activité déployée par Mme de Lützow-Ahlefeldt dans l’organisation du corps franc de son mari[1]. De tous côtés, les volontaires, affluaient ; le corps des chasseurs seul en comptait 13,000. Bientôt

  1. Voyez les articles de M. Saint-René Taillandier sur Mme d’Ahlefedt dans la Revue du 15 Avril 1858.