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inspiraient peu de confiance, il croyait que des jeunes gens habitués au comfortable de la vie ne pourraient supporter la fatigue, qu’ils reculeraient devant les détails d’un service pénible. Ces objections ne sont pas sérieuses ; des esprits cultivés savent très bien que se mettre en campagne pour recueillir et soigner des malades demande de l’activité et du dévoûment, et, quand ils offrent leur bon vouloir, ils sont prêts à tout. Du reste les fatigues qui leur sont imposées sont celles que les médecins, les sœurs de charité, acceptent dans les hôpitaux, et je ne sache pas qu’un homme de bonne volonté ait jamais été moins attentif auprès d’un blessé qu’un mercenaire. Par leur intelligence, ils seraient de précieux auxiliaires pour les médecins ; ils faciliteraient la tâche de l’administration. Au lieu de cela, on a choisi de parti-pris des hommes sans éducation, de véritables manœuvres, et on a dû les soumettre à des sergens et à des caporaux qui eux-mêmes sont des natures très primitives. L’administration fait peu de cas de tout ce personnel et justifie ses procédés par les défauts mêmes des hommes qu’elle a enrôlés. Dans ces conditions, quiconque parmi les infirmiers ne s’est pas engagé pour gagner 2 francs par jour a une situation très fausse ; le costume qu’il porte le soumet à une loi commune qui n’est pas faite pour lui ; il se ferait scrupule de donner l’exemple de l’indiscipline. Il vit en camarade avec des hommes dont les habitudes et le langage lui sont également inconnus ; à leurs yeux, sa présence ne peut s’expliquer, ils le regardent plus ou moins comme un espion. Les qualités d’initiative qu’il pourrait montrer, et qui dans l’armée relèvent bien vite l’engagé volontaire, sont ici annulées. Nous avons pour compagnons cinq jeunes prêtres qui ont voulu consacrer leurs vacances au secours des blessés. Leur caractère ecclésiastique ne permet pas de les traiter avec la rigueur en usage envers les autres infirmiers ; on ne peut les empêcher de prendre certaines libertés raisonnables, par exemple de préférer les lits qu’ils se procurent eux-mêmes dans les villages à la couverture étendue sur la terre humide, un dîner dans une maison à la gamelle de l’escouade ; on ne les interpelle pas brusquement pour leur ordonner de « rouler un tonneau » ou de « porter une poutre. » Les chefs trouveraient volontiers que les abbés compromettent cette discipline imaginaire sous laquelle doit vivre l’ambulance ; ils regrettent de ne pas leur voir la capote grise des infirmiers. Ces jeunes gens supportent les critiques et le milieu où leur délicatesse est mise à si rude épreuve, persuadés que dans quelques jours ils auront l’occasion de montrer ce qu’ils valent.

Les ambulances prussiennes qui ont fonctionné pendant la guerre de Bohême comptaient beaucoup de simples volontaires non payés,