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Journée de complète oisiveté : nous en profitons pour faire connaissance avec nos compagnons de route.

Notre ambulance est trois fois plus nombreuse que toutes celles qui ont été formées jusqu’ici par le comité du Palais de l’Industrie ; elle compte plus de cent vingt infirmiers sous les ordres d’un comptable en chef chargé de l’administration, d’un lieutenant, de deux majors, de sergens et de caporaux. Les infirmiers sont divisés en sections, les sections en escouades. Le docteur en chef, praticien qui a fait ses preuves, esprit à tous égards distingué, a sous sa direction plus de vingt aides dont plusieurs, bien que très jeunes, sont déjà des chirurgiens habiles. Deux aumôniers catholiques, un pasteur protestant, un fourrier chargé de préparer les logemens et les vivres, de renseigner l’ambulance sur la route qu’elle doit suivre, complètent l’état-major. Pour tout ce haut personnel, le voyage est un sacrifice pénible ; il sait les épreuves qui l’attendent, il est prêt à toutes les privations, au dévoûment le plus absolu. Une de ses pensées principales est de communiquer aux infirmiers les sentimens qui l’animent ; mais peut-être cette tâche sera-t-elle parfois difficile. Les infirmiers, tous engagés volontaires, reçoivent 2 francs par jour, plus le vin et les vivres. Les motifs qui les ont déterminés à entrer dans ce service nouveau, inconnu de la plupart d’entre eux, sont divers. Pour beaucoup, la solde, surtout dans un moment où les principales industries parisiennes sont réduites à chômer, a été une raison décisive. Plusieurs ont trouvé, nous dit-on, dans les ambulances le moyen d’échapper à la loi qui rappelle les anciens militaires de vingt-cinq à trente-cinq ans. L’attrait du voyage, le plaisir de voir du pays, d’assister à de grands événemens, n’a pas été non plus sans influence sur certains esprits. Il est entendu que nous serons soumis à une discipline sévère, qu’on nous traitera comme un corps d’armée en marche. Nous avons déjà eu quelque avant-goût de cette discipline : ordre vivement rappelé de nous conformer aux minutieuses prescriptions sur le costume, de marcher par le flanc droit et par le flanc gauche, appels réitérés ; les majors prennent plaisir à retrouver les phrases de leur jeunesse, et ce qu’on appelle le langage des camps.

23 août.

Nous avons fait quelques lieues de plus ; nous sommes sur la voie dans une grande plaine à l’est de Reims. Cinq convois qui nous précèdent doivent entrer en gare avant que nous puissions bouger ; cinq autres qui nous suivent attendent que nous avancions. De Châlons à Reims, ils sont chargés de troupes et de matériel. Nous quittons définitivement nos wagons, et chacun s’arrange pour