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de l’est entrait en action dans les Vosges, elle pourrait donner du souci aux états-majors prussiens. Que des forces considérables se concentrent de jour en jour sur la Loire ou sur d’autres points pour s’élancer vers nous, que tout ce qu’il y a de viril en France coure au drapeau, cela ne peut être douteux, et il faut, convenons-en, des circonstances bien étranges pour réunir au service de la même cause tous les partis, toutes les volontés, toutes les expériences et les inexpériences, des républicains, des Vendéens, des constitutionnels, des impérialistes d’hier : M. Gambetta descendant de son ballon pour activer la défense, le général Bourbaki quittant la garde impériale pour aller prendre le commandement de nos conscrits, M. de Charette, le colonel des zouaves du pape, se faisant un honneur de servir à l’avant-garde sous le drapeau de la république. M. Thiers de son côté, après son voyage diplomatique à Londres, à Saint-Pétersbourg, à Vienne, à Florence, M. Thiers, le plus illustre des serviteurs de cette cause du patriotisme, est passé à Tours, où son autorité eût été sans doute grandement utile, plus utile même qu’à Paris, pour pousser et coordonner tout ce travail d’organisation des forces nationales. La France est donc en mouvement, cela est certain. Seulement à quel degré est arrivée cette résurrection militaire de la France, de nos provinces ? Dans quelle mesure et à quel moment précis les armées de secours qui s’organisent pourront-elles combiner leur action avec la défense de Paris ? À quand la délivrance ? Là est encore le doute.

Cependant le temps presse, les Prussiens sont toujours là, le roi Guillaume et M. de Bismarck s’établissent à Versailles comme chez eux, envoyant leurs musiques au tapis vert du parc, et M. Bancroft, le ministre des États-Unis à Berlin, le vieil enfant d’un pays que la France et Lafayette ont aidé à conquérir son indépendance, M. Bancroft écrit au chancelier de la confédération du nord pour le complimenter de « rajeunir l’Europe !… » Oui, c’est ainsi. La France et Paris disputent leur existence au feu et au fer des envahisseurs ; un ministre de la républicaine Amérique fait ses complimens à M. de Bismarck de « rajeunir l’Europe » en dévastant nos villes et nos campagnes, en incendiant de ses obus la bibliothèque de Strasbourg. L’Europe apporte jusqu’ici une sage lenteur à s’apercevoir que ce sont ses affaires qui se débattent autant que les nôtres, que de cette lutte si étrangement envenimée pourraient sortir bientôt des complications de nature à mettre son repos en péril pour longtemps. Voilà en vérité où nous en sommes pour le moment, trois mois après le commencement de cette guerre de 1870, un mois et demi après le commencement du siège de Paris !

N’importe, avant que l’Europe soit « rajeunie » à la prussienne, avant que la France soit ce que M. de Bismarck voudrait la faire, il y a plus d’un combat à livrer encore, il y a du sang allemand à verser pour le plaisir, uniquement pour l’orgueilleux plaisir de ces faiseurs de con-