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ULTRIX POESIS

Les Châtiments, par M. Victor Hugo. 1 vol. in-18 ; Hetzel, Paris 1870.

Deux Bonaparte ont occupé le trône par un coup d’état, s’y sont maintenus par la force ou la ruse, en ont été précipités par leur folie. Par une rencontre singulière, tous deux ont eu un poète éminent pour les accuser ou les maudire ; tous deux ont trouvé dans le témoin qui dépose contre eux le tempérament approprié à sa mission de vengeance : l’un, qui était grand malgré ses fautes et ses crimes, a été jugé par un talent de haute race et de noble attitude ; l’autre, dont la carrière aventureuse, ambiguë, a été couronnée par une fin misérable, est la victime et la proie d’un génie énergique à l’inexorable colère, aux invectives violentes. Chateaubriand a élevé la voix dans le silence universel pour flétrir le guet-apens d’Ettenheim et le meurtre nocturne des fossés de Vincennes ; il est sorti du chœur des panégyristes salariés, il s’est éloigné du meurtrier couronné et de la contagion du sang, dont le grand capitaine portait la tache indélébile. En se présentant comme l’adversaire unique du dictateur pendant sa vie et de sa mémoire après sa mort, Chateaubriand s’est exposé au reproche de s’être égalé à celui qui avait fait trembler les rois et les peuples. Avec quelle force Victor Hugo, ayant à peine traversé la frontière, a jeté aux quatre vents de l’Europe le cri de sa protestation contre le 2 décembre, tout le monde le sait, même ceux qui n’ont pas lu les pages enflammées que traçait le poète soit au pied du beffroi de Bruxelles, soit dans le concert mugissant des vagues de la Manche. Tant que le puissant accusé siégeait aux Tuileries, dont l’armée, soutenue par huit millions de