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finissent par se rendre, épuisés par les maladies et la famine, car des sièges ainsi conduits durent d’ordinaire plusieurs mois ; ils duraient autrefois des années, mais avec les progrès de l’artillerie contemporaine, avec les armés à longue portée et les formidables engins à destruction dont aujourd’hui l’on dispose, la durée d’un siège est considérablement réduite.

C’est pendant que se fait le siège par l’application de ces moyens que les assiégés font des sorties pour détruire les ouvrages de l’ennemi. La nuit est propice à ce genre d’attaque. Le jour, on se canonne mutuellement. Les assiégeans font quelquefois aussi des attaques de vive force, et essaient de pénétrer dans la place avant d’en avoir terminé le siège régulier. On tente de franchir une porte, on cherche avec des fascines à combler les fossés, avec des échelles à gravir les remparts ; mais ces moyens sont aujourd’hui bien surannés, et ne peuvent plus s’employer d’ailleurs que pour des places de troisième ordre.

Si c’est surtout pendant la nuit que l’assiégé fait des sorties, c’est aussi ces heures d’ombre et de mystère que choisit d’habitude l’assiégeant pour rétablir ses travaux détruits. On cite sous ce rapport un exemple curieux, celui des Russes à Sébastopol, qui, plusieurs fois en une seule nuit, entre autres au Mamelon-Vert, refirent des ouvrages ruinés la veille par les Français et réapparaissant dès le lendemain aux yeux des assiégeans stupéfaits. L’emploi de la lumière électrique, de grosses fusées éclairantes ou pots à feu, a pour but de gêner dans ce cas l’ennemi ; on ne peut cependant l’empêcher tout à fait.

L’attaque d’une place par les procédés que nous venons d’indiquer constitue ce qu’on nomme un siège en règle. C’était ainsi que procédaient toujours les anciens maîtres dans l’art militaire, et Condé et Turenne ont conduit plus d’un siège de ce genre. Le siège de Gênes, si vaillamment soutenu par Masséna, est resté fameux. Le siège de Rome en 1849 et celui de Sébastopol, qui ne fut pas cependant un siège complet, puisque la ville put tout le temps se ravitailler du côté que nous n’avions pas investi[1], sont deux exemples récens de sièges réguliers. Citons encore celui de notre héroïque Strasbourg, où l’ennemi aurait bien dû s’inspirer, en bombardant et en incendiant la ville, des mesures de précaution que les Français s’imposèrent à Rome, non-seulement pour ne brûler ni détruire, mais même pour n’endommager aucun monument. On a beau faire

  1. C’est pour cela que Sébastopol a pu résister si longtemps, onze mois. L’armée assiégeante était de 200,000 hommes avec huit cents bouches à feu. On ouvrit les trois parallèles avant de donner le dernier assaut, celui de la tour Malakof.