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divise, et voici seulement que la défense nationale commence ; mais dès à présent il y aurait, à persévérer dans le dessein qu’on nous annonce, de quoi déshonorer et ce protestantisme prussien qui vous inspire si mal, au nom duquel vous jetez au Vatican des injures si intempestives, qui vous laisse au cœur des ressentimens si peu chrétiens et si impolitiques, et cette science dont vous êtes si fiers, mais qui ne vous aurait donc servi qu’à réédifier plus sûrement une savante barbarie, et cette malheureuse Allemagne enfin, à laquelle vous prépareriez, ainsi qu’à l’Europe, si elle n’y prenait garde, l’âge « du fer et du sang. »

L’iniquité engendre l’iniquité ; mais à chaque nouvelle date elle est toujours plus coupable, parce qu’elle est toujours condamnée à violer de nouveaux progrès accomplis par l’humanité. Croyez-en les nobles pages qu’insérait ici même, il y a quinze jours, M. Vitet : vous vous précipitez dans un excès dangereux. Pensez-vous qu’en ces jours d’innombrables deuils pour nous et pour vous nous n’ayons pas réfléchi à la Némésis divine et songé d’Iéna ? Pensez-y également. Les historiens nous disent que la Prusse avait cette fois déclaré follement une guerre pour laquelle elle n’était pas prête ; non : en réalité, nous le savons bien, Napoléon avait été l’agresseur. Vainqueur, voyez quel héritage il a laissé à la France ! Quant à la Prusse, certes après Iéna, elle était bien abattue, res exsanguis et jacens ; il ne lui a fallu pourtant que soixante années pour se relever et prendre sa revanche. Prenez donc garde, vous aussi, à de terribles retours. Prenez garde qu’après avoir victorieusement repoussé l’attaque formelle d’un gouvernement insensé, vous ne soyez devenus les vrais assaillans dans une seconde guerre contre une nation qui ne vous était pas réellement hostile, guerre de vengeance et de conquête que le droit nouveau désavoue, et qui ne saurait produire, même à votre profit exclusif, la concorde et la paix.


A. GEFFROY.