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soit possible de faire une exception pour les laines seules, ce serait nourrir une singulière illusion. Notons bien d’ailleurs que la France n’est pas le seul pays où les laines entrent en franchise : l’Angleterre, l’Autriche, la Belgique, l’Italie, les Pays-Bas, le Zollverein, les admettent exemptes de droits, et la Suisse ne perçoit qu’une taxe nominale de 60 centimes par 100 kilogrammes. Il n’y a que L’Espagne et la Russie qui fassent payer par 100 kilogrammes, l’une un droit de 5 francs 37 centimes, l’autre un droit de 29 francs 47 centimes. De quel côté sont le progrès, la prospérité, la civilisation ?

Si nous n’avons voulu parler ni des consommateurs ni des fabricans, dont les intérêts sont pourtant liés aux intérêts généraux du pays, ce n’est pas à dire qu’il faille négliger ce point de vue. Jamais lorsque la masse de la nation souffrira, jamais ce ne sera le moment pour les producteurs de concevoir de brillantes espérances. Les éleveurs français livrent chaque année à nos marchés 30 millions environ de kilogrammes de laine ; les fabriques françaises ont besoin pour s’alimenter d’en travailler 100 millions de kilogrammes : leur interdirez-vous d’aller chercher ailleurs la matière première que vous ne pouvez leur fournir ? et pensez-vous que l’agriculture aurait lieu de s’applaudir d’un pareil coup ? Mais cela même serait une cause nouvelle de baisse contre laquelle vous ne sauriez lutter. L’effet presque immédiat de tarifs de douane ultra-protecteurs sur les laines, comme l’a bien démontré M. Genteur dans son travail sur l’enquête agricole de la Marne, c’est de restreindre la fabrication et de diminuer par conséquent la demande de l’industrie. Toujours alors se produit la baisse, et les cours ne se relèvent qu’après une diminution des droits. Quelques personnes ont invoqué l’exemple d’un grand pays, les États-Unis d’Amérique. Il est parfaitement vrai que les tarifs douaniers des États-Unis font, à l’heure qu’il est, une étrange exception au régime que la plupart des autres nations ont admis, et que les Yankees, ces gens pratiques, se sont résolument mis en plein régime protecteur. A la fin de la guerre de la sécession, ils ont surélevé notamment les tarifs des laines, tant pour la matière brute que pour les tissus. Au-dessous de 3 francs 72 centimes le kilogramme, la laine lavée paie chez eux un droit d’entrée de 1 franc 16 centimes ; au-dessus de 3 francs 72 centimes, elle paie un droit d’entrée de 1 franc 40 centimes. Les laines manufacturées sont frappées d’une taxe de 85 pour 100 ; mais après deux ans de ce régime les producteurs de laine des États-Unis d’Amérique ont vu baisser de 20 pour 100 le prix des toisons nationales. Ce fait est constaté dans le récent rapport de M. Wells, secrétaire-général du revenu, qui conclut à un prompt abaissement des tarifs de douanes, partageant en cela l’opinion générale du peuple