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changemens de tarifs douaniers et de législation commerciale ne sont pas la seule cause de la baisse dont on a souffert. Si les importations ont si rapidement monté de 50 millions à 104 millions de kilogrammes entre 1861 et 1868, il y avait plusieurs années déjà que l’on pouvait ensuivre la marche ascendante ; elles avaient doublé aussi entre 1840 et 1852 (passant de 14 millions à 28 millions de kilogrammes en douze ans), et doublé encore, ou peu s’en faut, entre 1852 et 1861 (passant en neuf ans de 28 militons à 50 millions de kilogrammes). De plus, lorsque l’on examine les variations du cours des laines depuis le régime nouveau, on trouve que les années 1861, 1863, 1864, donnent des prix qui sont à peu près les mêmes que ceux de la période 1823-1825, alors qu’existait un droit de douane de 60 francs par 100 kilogrammes[1], et que les années 1862, 1865, 1866, 1867, donnent des prix correspondans à ceux de la période 1820-1822, alors qu’existait un droit de douane de 20 pour 100[2]. Seule, l’année 1869 a connu des cours réellement, au-dessous de tous ceux qu’on avait pratiqués jusque-là. Ce serait donc une étrange méprise que de considérer les tarifs de douane comme les uniques régulateurs du marché. Il faut qu’il y ait d’autres causes à la crise dont nous subissons les effets ; des gens éclairés assurent même que les traités n’y sont pour rien, et qu’il était impossible de la prévenir. Il est certain que la situation présente avait été prévue, prédite presque il y a vingt ans[3]. À cette époque, on était encore, si j’ose dire, dans tout le feu de la production de la laine ; pleins du souvenir de tant de grandes fortunes si rapides, les éleveurs ne songeaient qu’au perfectionnement de la toison ou à la vente de reproducteurs à laine fine. Depuis, l’usage du coton s’est répandu de plus en plus, et le coton a valu à l’industrie lainière une terrible concurrence ; mais il s’est produit d’autres faits plus graves encore.

En premier lieu, nous noterons une circonstance économique très frappante qu’a signalée M. Henri Carette dans un remarquable rapport au conseil-général de l’Aisne (1869), et sur laquelle M. Bonjour, à propos de la dernière exposition universelle, avait appelé déjà l’attention. Depuis vingt ans, la fabrication de la laine s’est accrue chez nous dans des proportions extraordinaires, en même temps qu’elle a complètement changé ses procédés et ses méthodes. En 1851, l’on ne comptait en France que 850,000 broches de laine

  1. De 2 francs à 2 francs 50 centimes le kilogramme en suint.
  2. De 1 franc 90 centimes à 2 francs 10 centimes le kilogramme.
  3. Un inspecteur-général des bergeries de l’état et des écoles vétérinaires, M. Yvart, disait alors aux éleveurs de moutons : « Transformez vos races en races de boucherie, devenez producteurs de viande, car les laines tomberont à des prix que vous ne soupçonnez pas ! »