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différens, on peut affirmer non-seulement, avec M. de Quatrefages[1], que les maladies communes à beaucoup de populations ne sont pas les seules causes de la dégénérescence de cette race, mais que ni le contact des Européens, ni la religion, ni la constitution politique, ne peuvent l’expliquer, et que si une cause plus profonde, plus générale dans ses effets, aidée sans nul doute par des causes secondaires, existe réellement, c’est ailleurs qu’il faut la chercher.

Plaçons-nous en dehors des origines de la race polynésienne et de cette époque où les documens recueillis par tant d’observateurs attestent des relations fréquentes entre les principaux archipels polynésiens, et considérons la situation de ces archipels depuis la découverte par les Européens, c’est-à-dire depuis qu’on peut en suivre l’histoire avec certitude. Un examen attentif nous montrera que depuis lors, aux Sandwich, aux Marquises, à Rapa-nui, à Taïti, aux Gambiers, la population, complètement isolée du reste du monde, a été obligée, par suite même de cet isolement géographique, de se perpétuer sans croisement possible par l’union des membres des mêmes familles. Aux Samoa et aux Tonga, les liens de parenté, soigneusement maintenus dans les familles aristocratiques des deux archipels, les relations fréquentes qu’elles ont conservées, l’habitude des longues courses qui s’est maintenue dans les deux populations, ont facilité au contraire le croisement des familles, mais elles l’ont facilité dans une mesure incomplète, puisque certaines classes de la population, et principalement de la population riveraine et maritime, ont pu seules jouir de cet avantage. Dans les deux archipels des Wallis et de Futuna, les relations ininterrompues avec les archipels voisins, des migrations fréquentes suscitées par l’esprit d’aventure ou par les divisions politiques des chefs, ont étendu ce croisement à toute la population ; cette population, qui, bien que peu considérable, a essaimé de nombreuses familles à Vavao, aux Fidji et jusqu’à la Nouvelle-Calédonie, où elle a peuplé une île entière[2], s’est constamment renouvelée soit par le retour de quelques-unes de ces familles isolées, soit par celui des partisans d’un chef forcé de s’exiler, qu’ils avaient suivi dans l’exil, et avec lequel ils revenaient dans leur île native, emmenant avec eux des femmes étrangères et les enfans qu’elles leur avaient donnés.

On peut maintenant tirer les conséquences logiques des considérations précédentes et des faits qui viennent d’être exposés. La loi de dégénérescence de toutes les espèces, de toutes les races par suite de leur isolement, est établie aujourd’hui. Les effets en sont

  1. Voyez la Revue du 1er février 1864.
  2. L’île d’Uvea, colonie des Wallis, fondée à une époque relativement récente. Elle fait partie du petit groupe des îles Loyalty,