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III

Il est temps de montrer quelle était la situation des belligérans à mesure que la lutte continuait. Au début, les planteurs du sud nourrissaient l’illusion que leurs adversaires, hommes paisibles que les spéculations commerciales préoccupaient seules d’habitude, n’auraient ni le courage ni la persévérance de soutenir une longue guerre civile. D’autre part, les gens du nord espéraient que les rebelles retrouveraient leur ancien attachement à l’Union. Il n’en fut rien ; une fois entrés en lutte, les Américains des deux partis mirent au service de leurs nouvelles convictions l’obstination de caractère qu’ils avaient déployée jusqu’alors dans des entreprises pacifiques. Étant admis que ni l’un ni l’autre ne voulaient céder de bonne grâce, la victoire devait rester à celui des deux qui avait le plus de ressources et d’industrie. De brillantes vocations militaires se révélèrent des deux côtés. L’habileté des généraux sudistes balança longtemps le désavantage du nombre et d’une organisation imparfaite ; mais en fin de compte les années du nord gagnaient peu à peu du terrain. Elles se rendaient maîtresses de la Nouvelle-Orléans en 1862 ; un an plus tard, elles étaient en possession de toute la vallée du Mississipi, et les escadres fédérales entraient victorieuses dans les ports des états insurgés. Enfin l’intérêt de la lutte se concentra dans les environs de Richmond, sur les bords du Potomac, où se livrèrent les batailles décisives.

Pendant ce temps, la scission entre le nord et le sud devenait plus profonde. L’exaspération fut à son comble lorsque parut la proclamation du président Lincoln, qui déclarait libres, à partir du 1er janvier 1863, les esclaves en résidence dans les états insurgés. De l’autre côté de l’Atlantique, chacun suivait avec anxiété les progrès de cette lutte gigantesque. Cependant on peut dire que la guerre y était envisagée en général sous un autre point de vue qu’en Amérique. En Europe, on détestait l’esclavage plus encore que ne le détestaient les gens du nord ; par contre, on semblait croire que la création d’une confédération du sud indépendante serait un événement favorable à la politique européenne. Au fond, il importe peu, pour l’objet principal de cette étude, de savoir quels furent les sentimens intimes des Européens ; l’essentiel est de constater que les gouvernemens ne donnèrent ni en fait ni même en paroles aucun appui effectif aux sécessionistes. La sympathie qu’ils inspiraient à quelques-uns n’était pas assez puissante pour obtenir que leur indépendance fût reconnue. Le gouvernement britannique en particulier fut d’une réserve extrême à leur égard, puisqu’il ne