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ne s’y dit pas, toutes les nouvelles vraies ou fausses qui s’y débitent, tout cela les journaux le reproduisent. Chaque journal, par profession, court après les nouvelles pour les divulguer urbi et orbi, dans l’univers et dans mille autres lieux. On ne voit guère ce que des espions à Paris pourraient ajouter à ce débordement de publicité.

Que la police, si elle le juge utile, surveille les nouveaux débarqués pour expulser ceux qui lui sembleraient dangereux ; que parmi les anciens résidens ceux qui donneraient lieu à des soupçons reçoivent leur passeport, c’est de la légitime défense, c’est le droit du gouvernement. Avec l’état de siège, il peut renvoyer de Paris les Français eux-mêmes qui l’inquiéteraient ; mais, à l’égard des 40,000 Allemands qui s’étaient fixés dans notre capitale et occupaient des situations aux différens étages de la société, riches commerçans et petits boutiquiers, grands manufacturiers ou simples ouvriers, pour la plupart mariés, pères de famille, désireux de demeurer au milieu de nous parce qu’ils y ont fait leur nid et qu’ils y ont des intérêts et des affections, — à l’égard de cette population laborieuse et méritante la seule chose à faire, c’est de la protéger contre les menaces de personnes exaltées et contre les dénonciations irréfléchies d’écrivains que leur patriotisme abuse et égare, c’est de faire en leur faveur un appel à quiconque s’honore de professer des sentimens d’humanité, à ces écrivains eux-mêmes, qui, en honnêtes gens, ne sauraient persévérer après un moment d’examen.

Ne perdons pas de vue non plus qu’il est resté en Allemagne beaucoup de nos compatriotes placés dans de semblables conditions, et jusqu’à présent, malgré les nouvelles contraires qu’on s’était trop pressé de mettre en circulation, il ne paraît pas qu’ils aient été molestés. Si nous maltraitions les Allemands restés parmi nous, ou bien les autorités allemandes nous laisseraient le monopole des procédés inhumains : alors nous jouerions un rôle peu flatteur, et la réputation de notre nation en serait atteinte, ou bien, cédant à un penchant qui est prononcé chez la plupart des hommes, ils feraient subir à nos compatriotes la loi du talion, et c’est à nous que ceux-ci en seraient redevables.

Dans les temps critiques, la partie la moins éclairée de la population devient irritable. Il y a tel mot ou tel nom avec lequel on est certain d’exciter en elle une colère prompte à éclater en violences. C’est ainsi que les aristocrates et les ci-devant virent se soulever subitement contre eux, au commencement de l’automne de 1792, l’orage des journées de septembre, une des souillures de la révolution française. On dit à la multitude que les infortunés prisonniers conspiraient en faveur des Prussiens, et il n’en fallut pas davantage pour qu’on les égorgeât, sans qu’il fût possible à la convention de mettre un terme au massacre. Aujourd’hui on monte les Parisiens contre les espions, et on étend ce nom a 40,000 personnes de tout âge, de tout sexe et de toute condition,