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laissant ses adversaires presque aussi épuisés qu’elle après la bataille.

Précisons les faits tels qu’ils apparaissent à travers cette fumée sanglante du combat. Il faut se souvenir toujours, — on l’oublierait presque, tant les événemens se sont précipités ! — il faut se souvenir que la déclaration de guerre date du 19 du mois dernier. Ce jour-là seulement, les grands mouvemens ont commencé ; de part et d’autre, on a couru vers le Rhin comme au rendez-vous suprême. Le 1er août, rien ne s’est encore passé ; jusque-là, il n’y a eu que des reconnaissances volantes, des escarmouches d’éclaireurs. Notre armée, divisée en sept corps, s’organise derrière cette ligne prolongée et irrégulière qui va du grand-duché de Luxembourg jusqu’à la frontière suisse, touchant à la fois aux provinces prussiennes, à la Bavière rhénane et à Bade. Du côté de Metz sont les corps du maréchal Bazaine, du général Frossard, du général Ladmirault ; du côté de Strasbourg, de Mulhouse et de Belfort à l’est, se trouvent le maréchal Mac-Mahon et le général Félix Douay, tandis que le général de Failly occupe une position intermédiaire vers Bitche. La ligne entière est surveillée et défendue par nos bataillons distribués en divers groupes qui sont tous placés sous le commandement supérieur de l’empereur, établi à Metz, et ayant lui-même pour major-général le maréchal Le Bœuf. En arrière, un dernier corps se forme sous le maréchal Canrobert, en avant de Châlons, et doit se diriger sur Nancy. Quel est l’objectif de ces forces disséminées, à quel plan général doivent-elles concourir ? On ne le sait pas encore, aucun signe apparent ne le dévoile. Où est de son côté à ce moment l’armée prussienne, et que fait-elle ? On croit l’entrevoir débouchant par Mayence et allant se masser vers Trêves, sous le prince Frédéric-Charles. Sur les autres parties du Rhin, en remontant vers Strasbourg, on n’aperçoit rien distinctement. En réalité cependant, une armée prussienne, grossie des contingens de l’Allemagne du sud et placée sous le commandement du prince royal de Prusse, se rassemble à Rastadt, à portée du fleuve, pour se diriger sur Landau, dans la Bavière rhénane, et menacer notre frontière par Wissembourg. Entre les deux armées allemandes habilement dissimulées derrière les bois qui couvrent ces contrées, les communications de chemins de fer sont ouvertes par Sarrebruck, point de jonction des lignes qui relient Trêves à Landau, Le roi de Prusse arrive à Mayence, où se trouve le général de Moltke, le grand tacticien qui, de son quartier-général, fait mouvoir ces forces comme il dirigeait les armées prussiennes vers la Bohême en 1866. C’est là ce qui apparaît au 1er août à travers le voile dont se couvrent toutes les opérations. Il est désormais évident qu’on ne peut rester longtemps en présence sans se heurter ; il faut que l’un des deux adversaires marche en avant.

Le lendemain en effet, le 2 août, le signal semble partir du camp français ; le général Frossard enlève avec ses divisions les hauteurs qui