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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 août 1870.

Depuis quinze jours, la France vit dans une fièvre ardente, dans un transport de patriotisme tour à tour exalté ou contristé. La France n’est plus à ses intérêts et à ses travaux ; elle n’a plus qu’un intérêt, elle concentre toute son âme sur un seul point, sur cette frontière en feu où nos soldats combattent, où s’agitent nos destinées. D’heure en heure, elle attend, dévorant le moindre bruit jeté à son impatience, ressentant dans toute leur âpreté les émotions de la guerre, pleine de frémissemens virils à la pensée du grand danger national qui s’est subitement révélé dans l’éclair des premières batailles.

Jamais certes circonstances plus graves ne se sont produites depuis des jours de douloureuse mémoire, depuis plus d’un demi-siècle. Jusqu’ici en effet, depuis les gigantesques conflits du premier empire, si tragiquement dénoués, la guerre ne nous était point apparue dans ce qu’elle a de plus cruel. Les luttes que la France nouvelle a soutenues se déroulaient au loin. On ne s’y intéressait pas moins sans doute, on n’accompagnait pas d’une sympathie moins ardente le drapeau remis aux mains vaillantes accoutumées à le défendre, et on ne portait pas moins le deuil de ceux qui succombaient ; mais enfin c’était loin, et les questions qui s’agitaient n’étaient pas toujours de celles que la plupart des hommes comprennent. On allait se battre en Crimée, dans la Mer-Noire, pour cet équilibre de l’Europe livré aujourd’hui à de si étranges hasards ; on allait se battre en Italie pour une idée, pour la délivrance d’un peuple. Nous pouvions suivre ces conflits avec ardeur, avec une généreuse passion, sans que notre sécurité en fût atteinte. Cette fois il n’en est plus ainsi. C’est la frontière violée, la Lorraine menacée, l’Alsace envahie, l’intégrité nationale un moment mise en péril ; c’est l’irruption étrangère dans notre foyer, et le coup a été d’autant plus rude, la blessure a été d’autant plus vive, qu’on ne pouvait pas s’y attendre, que ces premiers événemens, éclatant à l’improviste, ont eu le caractère d’un véritable et poignant mécompte, aggravé, envenimé par mille cir-