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d’enfans chrétiens à l’intérieur, et par la piraterie barbaresque à l’extérieur[1].

Nous avons essayé de faire rapidement le bilan de l’esclavage turco-égyptien. M. Berlioux, d’ordinaire très circonspect en matière politique ou religieuse, va cette fois droit au fait en disant que pour supprimer la traite il faut déchirer le Koran. C’est net et surtout parfaitement juste ; seulement, poser ainsi la question, c’est reconnaître implicitement que la solution en est à peu près impossible. Partout où l’islam sera un culte dominant, le Koran, la polygamie et l’esclavage seront les bases essentielles de l’ordre social. Les gens qui veulent bien se laisser tromper vont répétant sans cesse que le Koran est élastique, qu’il se laisse commenter, élargir, modifier. Ce sont les mêmes qui ont presque réussi à persuader au public que la tolérance religieuse était en progrès en Turquie au moment où la Porte persécutait si cruellement un groupe de musulmans honorables qui avaient eu l’audace d’adopter la monogamie et de prêcher la possibilité du salut éternel pour les juifs et les chrétiens. Il faut bien le reconnaître, tous les gouvernemens musulmans, par fanatisme, par incurie, par cupidité, sont esclavagistes. Le gouvernement égyptien, le seul de tous en Orient qu’on puisse appeler un gouvernement laïque, n’obéit pas aux mêmes mobiles que ses voisins ; mais, outre que l’esclavage est aujourd’hui son mode presque unique de recrutement, l’abolition de la traite troublerait trop d’habitudes et trop d’intérêts chez les populations qui lui obéissent. Donc il n’y a rien à attendre de ces gouvernemens. Les sociétés abolitionistes qui ont envoyé des députations au khédive, il y a deux ans, pour le prier de prendre des mesures contre la traite exercée dans ses états n’ont réussi qu’à fournir à ce prince une occasion de donner le change à l’opinion publique. On sait que le sens de sa réponse fut celui-ci : « j’ai fait prendre des mesures si efficaces, qu’aujourd’hui la traite faite par mes sujets a complètement disparu du Nil ; il ne reste plus au Soudan d’autres négriers que des Européens qui, abrités derrière les capitulations, mettent à néant mes efforts et ma bonne volonté. » Le khédive poursuivait alors activement le retrait de ces capitulations si gênantes pour les gouvernemens orientaux qui veulent faire de l’arbitraire illimité chez eux ; sa réponse était un modèle de diplomatie et d’à-propos. Tous les journaux la reproduisirent, et pas un ne donna la réplique courte, nette et tranchante par laquelle M. Petherick, ex-consul anglais à Khartoum, déchira cette politique.

  1. Sur le système de razzias d’enfans parmi les populations soumises, ou même simplement tributaires, comme la Hongrie ou la Moldo-Valachie, voyez surtout la Cosmographie de Thevet, la traduction française de Chalcondyle, et Fînlay, Histoire de la Grèce sous les Ottomans.