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l’égoïsme, attendaient qu’on leur fît violence en leur indiquant les réparations efficaces. M. Gladstone s’est trouvé là. Quoique très réfléchi, très froid, très personnel dans ses convictions, il a le don de ressentir vivement les causes d’agitation nationale, il est gagné promptement par les émotions qui s’emparent des masses à certains momens ; ces sympathies ne le troublent pas, au contraire elles l’éclairent, elles le soutiennent, et, dans l’occasion dont il s’agit, elles ont fait sa force.

Aux résolutions de M. Gladstone sur l’église d’Irlande, les conservateurs trouvaient à opposer plus d’une fin de non-recevoir. A peine remis des agitations de la réforme, le pays allait-il se voir jeté dans une agitation nouvelle ? N’y avait-il pas une grande injustice à exiger d’un gouvernement qui venait d’achever une telle œuvre qu’il en entamât une autre, importante sans doute et peut-être nécessaire, mais dont l’importance même commandait la plus grande circonspection et un mûr examen ? Était-ce au parlement que la réforme accomplie avait en un jour prodigieusement vieilli qu’il appartenait d’usurper les travaux naturellement dévolus à une représentation sortie du nouveau régime ? Il y avait enfin des scrupuleux qui faisaient à l’Angleterre un point d’honneur de ne rien céder aux menaces des fenians ; mais c’est précisément parce que de prochaines élections ne pouvaient être évitées que M. Gladstone voulait mettre dès lors l’opinion publique en demeure de se prononcer. C’est aussi qu’à la veille de paraître devant des électeurs qui appelaient tous impatiemment une solution les députés les plus perplexes ou les plus rétrogrades seraient forcés de s’expliquer, et il n’entendait pas leur accorder un jour de délai.

Le choix de l’heure, les termes décidés dans lesquels M. Gladstone posait un problème inéluctable, étaient un premier mérite ; un second mérite est de l’avoir abordé avec une politique fixée d’avance. Plusieurs disaient en secouant la tête qu’il n’y avait là qu’une manœuvre. M. Disraeli venait de remporter un double triomphe en s’affublant des défroques libérales et en désorganisant le parti adverse ; M. Gladstone, un instant découragé par l’indiscipline qui avait pénétré dans son parti, voulait le rallier et prendre une revanche aux dépens du ministère. Voilà ce qu’on disait, et, si M. Gladstone eut en effet pareille pensée, il faut convenir qu’il eut lieu de s’applaudir de sa tactique. M. Disraeli, si souple, si adroit, si facile aux concessions dans la question de réforme, ne montra dans celle-ci qu’indécision et embarras ; il ne sut que se lamenter piteusement sur la cruauté de son adversaire, qui lui refusait le bénéfice du temps, et l’on vit que, sauf les petits moyens usés mis en avant par lord Mayo, qui eussent peut-être été bons au temps de M. Pitt, mais qui étaient aujourd’hui des palliatifs dérisoires, les