Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/908

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce qui pourrait le faire diminuer, M, Berlioux évalue à 40,000 têtes le chiffre annuel d’esclaves qui passent par la Mer-Rouge. Dans ce chiffre, dont les trois cinquièmes environ sont pour l’Égypte, ne sont pas compris les troupeaux de nègres et de Gallas que fournit le bassin du Nil, et dont la Nubie égyptienne garde la plus grande partie. Nous manquons d’élémens pour calculer ce qui arrive par la voie meurtrière du Darfour. Ce n’est pas que la douane de Siout, comme toutes les douanes égyptiennes, ne perçoive rigoureusement le droit d’entrée par chaque tête d’esclave ; mais les registres de ces douanes ne sont pas accessibles à des yeux européens. A la douane d’Assouan, il y a quelques années, les précautions étaient encore mieux prises : les esclaves y étaient inscrits comme chevaux importés. Étant tenu compte des quatre ports et des quatorze routes de terre qui approvisionnent le vaste empire égyptien, on ne peut pas évaluer à moins de 70,000 têtes le chiffre d’esclaves annuellement absorbés par ce pays. Quand on calcule qu’un esclave rendu en territoire civilisé représente quatre nègres tués, morts de faim ou du typhus, ou tombés de fatigue sur les routes, on voit que le Spudan perd au bas mot 350,000 âmes par année pour combler les vides produits par la dépopulation de l’Égypte. Il n’entre pas dans notre sujet d’examiner jusqu’à quel point une mauvaise administration vient en aide à une mauvaise organisation religieuse et sociale pour créer ce dépeuplement ; mais il est de fait que l’esclavage seul maintient à peu près au pair la population actuelle du pays égyptien.


II

Si la race nègre est la principale victime de la traite égyptienne, elle est malheureusement loin d’être la seule. Dans un précédent travail[1], j’ai essayé de reproduire la physionomie étrange et fort peu connue d’un des plus grands peuples africains, les Gallas, qui occupent les vastes territoires compris entre l’Abyssinie et l’équateur. Ce peuple est du même sang que le peuple abyssin : les traits du visage, les habitudes, les instincts, les aptitudes intellectuelles, sont absolument les mêmes ; la seule différence appréciable est celle de la couleur, qui tient à des circonstances physiologiques et historiques dont je n’ai pas à m’occuper ici. Le développement de la traite chez les Gallas a tenu à des causes fort différentes de celles de la chasse aux noirs le long du Nil. Les Gallas sont une race foncièrement guerrière, et les faciles vainqueurs des malheureux riverains

  1. Voyez la Revue du 15 février 1862