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naturelles, on les trouvera fort différentes. Le savant est moins facile à contenter que l’historien. Un chapitre même du livre qui nous occupe en peut donner la preuve : les peuples ignorés qui tout à coup apparaissent dans le monde pour y apporter une civilisation nouvelle y sont assimilés à ces animaux inconnus, un peu plus parfaits que la nature qui les environne, et ne se développant qu’après une catastrophe dans un milieu plus favorable. Il suffit en effet à l’historien de savoir que les Germains existaient lorsque dominaient les Grecs et les Romains et de dire qu’après l’invasion ces barbares se sont civilisés, comme il suffisait à M. de Chateaubriand, pour expliquer comment nous avons connu l’histoire des empereurs, d’écrire ces paroles célèbres : « c’est en vain que Néron prospère, Tacite est déjà né dans l’empire ; il croit inconnu auprès des cendres de Germanicus, et déjà l’intègre Providence a livré à un enfant obscur la gloire du maître du monde. » L’existence d’un peuple, la naissance d’un homme, sont de cette façon suffisamment expliquées. En est-il de même d’un être doué d’une organisation particulière qu’une découverte imprévue place sous les pas du naturaliste dans une caverne ? Le savant doit alors expliquer matériellement de quelle façon il a été apporté là, comment il a pu se développer, comment les formes de ses ancêtres s’étaient modifiées, comment il vivait au milieu d’une faune et d’une flore étrangères à sa constitution. On ne peut constater la présence d’un être sans dire d’où il vient. Il faut aller au-delà, il faut expliquer, ce qui est fort différent de raconter. En un autre endroit, M. Quinet, faisant cette observation, que la forme de la tête n’est pas la même dans les races supérieures et chez les sauvages, se contente de dire que l’esprit intérieur « a modelé les crânes, et que la pensée tombant dans le cerveau en soulève peu à peu les voûtes, élargit les tempes, développe les lobes, augmente la masse et la capacité crânienne. » Pour un physiologiste, une telle affirmation ne suffit point ; il faudrait non-seulement démontrer qu’une telle influence de la pensée sur le corps est réelle, mais dire encore comment cette action s’exerce, en citer des exemples positifs et les appuyer d’expériences.

Quoi qu’il en soit de ces observations et des difficultés de détail, un principe vrai et fécond se dégage du livre de M. Quinet : la logique domine le monde physique comme le monde intellectuel, et une parenté réelle unit les principes de l’intelligence et les principes sur lesquels sont fondés les règnes de la nature. Il y a une nature des choses, pour employer l’expression d’un ancien ; l’univers entier est soumis à des lois immuables qui s’imposent à la matière comme à l’esprit, à la physique comme à la métaphysique, à la vie du monde comme aux passions des hommes. La conséquence de cette théorie n’est pas le matérialisme, et M. Quinet, dans son