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il veut se coucher. Un certain nombre de ces habitudes paraissent remonter au-delà des dernières catastrophes de l’univers. Les oiseaux voyageurs, qui suivaient autrefois les terres, ont continué à voler dans la même direction, même lorsque ces terres ont disparu. A l’époque tertiaire, ils ne quittaient pas l’isthme qui reliait les côtes de France à l’Italie et à l’Afrique. Ils vont encore chercher la chaleur dans ce pays malgré la mer. Les singes conservent l’attitude penchée et la démarche oblique que rendaient nécessaires les forêts inextricables d’autrefois, dont nos bois actuels ne leur offrent qu’une image affaiblie. Le chien et le chat domestique luttent inutilement dans nos maisons comme leurs aïeux le felis spelœa et l’amphycyon. Nos ancêtres n’ont-ils pas, eux aussi, combattu ces animaux disparus, et la tradition ne nous en donne-t-elle point des nouvelles ? On commence à le croire aujourd’hui, et M. Quinet pense en ceci comme le docteur Buchner. Les premiers siècles se sont passés pour l’homme au milieu d’animaux gigantesques et terribles qu’il fallait détruire avant de songer à tout progrès, à toute civilisation, car il n’y a point de civilisation sans sécurité. Il est même probable que la disparition de quelques-uns de ces êtres, que les géologues attribuent à des causes géologiques, est due à l’homme lui-même, inhabile longtemps à tous les arts, mais dès le premier jour ardent à tuer. Le souvenir de ces combats a dû se transmettre d’âge en âge, et les héros de ces anciens temps étaient ceux qui avaient détruit le plus grand nombre d’animaux. Or toutes les traditions des peuples représentent leurs ancêtres, ceux dont ils admirent et respectent la mémoire, comme soutenant des combats effroyables contre des dragons, des monstres, des animaux étrangement conformés et d’une énorme grandeur. Ne serait-ce point parce que l’homme avait réellement rencontré les grands et singuliers animaux du diluvium et de l’époque tertiaire ? Le lion de Némée paraît fort différent du lion moderne et très analogue au lion des cavernes. Tous ces monstres que détruisaient les Hercule et les Thésée étaient peut-être les pachydermes, les ruminans, les carnassiers gigantesques qui n’existent plus. Et non-seulement le sentiment de leur grosseur s’est perpétué dans le souvenir et nous est arrivé par tradition, mais leur forme même, différente des formes modernes, n’est pas oubliée. Le dragon n’a pas été inventé. Les poètes ont décrit par tradition le ptérodactyle.

Tout ceci ne paraît pas certain. La pure imagination a pu suffire à grandir les êtres que combattaient nos pères, comme nos pères eux-mêmes lui doivent en certains pays une renommée exagérée de grandeur, de courage et de force. La réalité d’aucun animal gigantesque n’est nécessaire, et dans les traditions humaines l’imagination peut avoir plus de part que la mémoire. Le mélange de facultés