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sa race. Par cette seule considération, M. Quinet a pu réfuter une opinion longtemps reçue, et que des découvertes nouvelles ont fort ébranlée. Avant ces découvertes, M. Quinet, par une simple conséquence de sa théorie, eût pu rectifier les savans.

En effet, nous avons des preuves nombreuses, et qui semblent concluantes, que durant une période géologique très récente l’Europe centrale et l’Amérique du Nord ont supporté un climat arctique. Dans le nord de l’Italie, des glaciers comblaient les vallées à de grandes hauteurs. Au mouvement d’une création nombreuse et agissante succéda un silence de mort. C’est pourtant à cette époque que l’on a cru que l’homme avait fait son apparition ; mais ce froid, cette tristesse, ne sont-ils pas contradictoires avec la nature, avec la constitution humaine ? Sans qu’il soit nécessaire de réfléchir à l’impossibilité pour l’être humain de vivre faible et nu au milieu d’un monde sibérien, sans feu et sans flamme, une telle idée n’est-elle point contraire à tout ce que nous voyons dans la nature de logique et de singulièrement adapté à toutes les circonstances ? L’homme eût été non-seulement le moins privilégié, mais le plus excentrique des êtres, si une telle disproportion eût existé entre son organisation et celle de l’univers. Nous aimons sans doute à nous distinguer du reste du monde ; mais la distinction eût été ici vraiment peu séduisante. M. Quinet a donc pu déduire de plusieurs considérations de ce genre que les hommes ont pu traverser la période glaciaire lorsqu’ils avaient déjà acquis quelque force et quelque expérience, mais que leur existence n’est point caractéristique de cette époque désolée. Cette existence a été en effet fort reculée par les savans presque entre deux chapitres du livre de M. Quinet, qui a pu, ainsi prédire aisément, peut-être trop aisément, que l’homme appartient à l’époque tertiaire et non à l’époque quaternaire[1].

Il est naturel de se demander si l’homme n’a pas gardé quelque souvenir de ces années, de ces siècles qui ont précédé les temps qu’on nomme historiques, et s’il n’y a point dans ses traditions, dans ses habitudes, quelque chose qui rappelle le monde tertiaire et ses habitans. Son intelligence égale-t-elle en mémoire l’instinct de quelques animaux ? Ceux-ci, même apprivoisés depuis longtemps, montrent par quelque côté qu’ils ont été sauvages : l’âne, originaire du désert, hésite encore à traverser les cours d’eau et se roule avec volupté dans la poussière ; le chien enfouit comme le renard la nourriture dont il n’a pas besoin, et sur un tapis tourne encore longtemps sur lui-même, comme pour fouler l’herbe à la place où

  1. L’existence de l’homme tertiaire a été démontrée très récemment par M. l’abbé Bourgeois, dont la science a résolu un problème important et rendu plus libre l’étude de ces questions délicates.