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Darwin, Huxley ; ils cherchent un lien entre les êtres différens, une transition qui conduise insensiblement du mollusque au mammifère. Il faut avouer que nulle de leurs hypothèses n’est démontrée. M. Quinet ne méconnaît point cette difficulté, et il n’essaie point de la trancher. Il l’expose d’une façon saisissante ; mais de l’obscurité même qui entoure l’origine des premiers êtres du développement en apparence si rapide d’animaux qui peu auparavant ne semblaient pouvoir exister, il tire un de ces rapprochemens historiques qu’il recherche, et dont il faut donner une idée précise.

Chaque changement du globe a révélé un type nouveau parmi les êtres vivans ; du moins une espèce nouvelle, une famille nouvelle a dominé dans chaque période. On ne saurait admettre que chaque type ait subitement apparu pour donner un caractère spécial à chaque temps, sans que rien d’analogue l’ait précédé. Les diverses époques de la terre peuvent être considérées non pas comme des créations successives, mais comme le développement d’une création primitive. Le germe de tout être perfectionné devait exister durant la période précédente. Sans doute un ancêtre de chaque type vivait inconnu, se développait obscurément dans un monde qui ne se prêtait pas à son perfectionnement. L’être qui devait, à la révolution prochaine, dominer sur la terre et donner à une période son caractère vivait triste et faible avant la révolution, se reproduisait avec difficulté, toujours près de périr et de disparaître d’un monde peu fait pour lui ; mais tout à coup la terre se modifiait, devenait plus chaude ou plus froide, le reptile pouvait se traîner sur une plage boueuse, l’aile de l’oiseau s’étendre, le pied du mammifère se poser sur un sol plus dur. Ce type négligé du monde primitif trouvait enfin une nature propice, se multipliait et dominait les êtres plus anciens, qui perdaient autant qu’il gagnait lui-même. Rien n’est absolument subit et imprévu dans la nature, tout s’enchaîne et se développe, et le regard attentif peut saisir à toute époque le type obscur et trop souvent négligé qui doit donner au temps suivant son caractère et sa grandeur.

N’observe-t-on pas des faits semblables lorsqu’on étudie l’histoire des civilisations et des peuples ? Les nations ne semblent-elles pas successivement sortir du néant pour briller d’un éclat inattendu, puis décliner peu à peu, faisant place à une nation nouvelle ? Ces changemens si fréquens dans les maîtres du monde ne rappellent-ils pas ces nouvelles flores, ces nouvelles faunes, qui apparaissent successivement à toutes les périodes de la vie de la terre ? Dans aucun des cas, la transformation n’est subite, et l’historien sait retrouver longtemps avant qu’elle ne règne la nation obscure qui doit prendre le premier rôle, comme le naturaliste cherche dans les annales matérielles du globe le type négligé d’une