Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/885

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

précepte, et dès la première ligne il pratique sa théorie d’union de deux ordres de faits qui ont été séparés jusqu’ici.

Il n’est peut-être pas nécessaire de pousser l’alliance jusque-là, et, pour montrer que l’histoire de la terre est bien véritablement une histoire, il suffirait de la raconter depuis le moment où le globe d’abord gazeux, puis liquide, commence à se solidifier, jusqu’au jour où l’homme apparaît. A chaque période, le monde semble se perfectionner. Nulle trace d’organisation ne se retrouve dans les terrains primitifs ; les terrains de transition sont remplis de débris de mollusques et de poissons, les terrains secondaires de reptiles et les tertiaires de mammifères. Il serait tentant de montrer, en exposant la succession des terrains et des êtres, comment ces époques se distinguent et se ressemblent, comment les progrès sont réels sans être continus ; mais M. de Saporta a donné ici même[1] un récit de ces transformations, et il serait imprudent de tenter de rivaliser avec lui. Une idée générale de la géologie, telle qu’on la peut supposer même chez ceux qui ne la savent point, suffit d’ailleurs à faire entrevoir comment on a le droit de comparer les modifications du globe au développement historique des nations. La science nous montre un progrès qui à chaque instant reprend après une catastrophe, comme à la suite d’un bouleversement un peuple, d’abord troublé, se calme et reconnaît une amélioration dans son état politique ou intellectuel. Plus réelle encore paraît cette analogie lorsque l’on compare les procédés des géologues à ceux des historiens. Tous retrouvent leurs documens enfouis, mêlés, et ont grand’peine à établir les dates et l’ordre des faits. Les couches de la terre, qui devraient être horizontales, sont la plupart bouleversées, obliques, verticales ou même complètement retournées. Sir Charles Lyell regarde les archives naturelles de la géologie comme des mémoires tenus avec négligence pour servir à l’histoire du monde, et rédigés dans un idiome altéré et presque perdu. Nous ne possédons que le dernier volume de cette histoire, et de ce volume bien des parties manquent encore. C’est avec des documens plus imparfaits qu’il n’y en a peut-être pour aucun temps historique que le géologue entreprend de raconter une histoire longue et compliquée, et il est naturel que les mêmes procédés d’esprit soient familiers au naturaliste et à l’historien. A mesure que l’on pénètre dans les parties obscures du récit, on sent mieux la ressemblance ; mais, avant de les chercher avec M. Quinet, il faut donner une idée de la manière dont il raconte lui-même les phases diverses de la vie du monde, comment il mêle à son récit les résultats positifs de la science, les inductions de l’histoire et, dans uns heureuse mesure, les fictions de la poésie.

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1870.