Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/884

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modèles ; mais ces écrivains n’avaient d’autre objet que de populariser les sciences, ou, comme on dit, de les vulgariser. Ils ne se servaient de leur savoir ni pour perfectionner un genre littéraire, ni pour arriver à des découvertes nouvelles. C’est à ces deux résultats que l’on tend aujourd’hui. La précision et la rigueur ont été introduites dans la poésie même, et l’on trouverait dans les œuvres de Victor Hugo des vers où la poétique réalité surpasse les belles fictions de la mythologie. Le poète ne cherche pas à exposer des connaissances acquises, comme Voltaire le faisait dans ses épîtres sur les découvertes de Newton, mais il emprunte la beauté de la science pour embellir ses vers. M. Quinet veut profiter des progrès scientifiques en les appliquant à la connaissance des hommes et des nations. Il ne se contente pas de les exposer. Son livre sur la création commence par une histoire de la terre qui n’est pas seulement un cours de géologie précis et brillant ; dès le premier mot, il nous apprend que cette science n’est pas son objet principal, mais qu’il en veut tirer des conclusions utiles à l’histoire et à la philosophie. Il ne fait point de la science pour la science, de l’art pour l’art ; peut-être même a-t-il, dans la première partie de son œuvre, trop peu séparé les réflexions et les comparaisons philosophiques des notions exactes qu’il nous donne sur les transformations du globe. Ce mélange de l’hypothèse et du fait peut amener quelque confusion dans l’esprit du lecteur. Il est souvent malaisé de distinguer dans ce livre ce qui est scientifiquement vrai et admis par tout le monde, ce qui est seulement entrevu (et d’ordinaire très ingénieusement, même dans les parties les plus arides) par l’auteur et ce qui se rapporte enfin à la théorie nouvelle. L’ouvrage eût perdu quelque peu de son charme, mais gagné parfois en clarté, si la trame eût été plus séparée des broderies qui l’embellissent. M. Quinet ne résiste point, en décrivant chaque événement géologique, au plaisir de montrer combien en peut profiter sa doctrine. Il relève volontiers l’analogie d’une catastrophe naturelle et d’une révolution historique ; il rapproche les Alpes dénudées des ruines de Palmyre, et compare les couches bouleversées de la vallée de Maurienne, qui nous offrent mélangés les fossiles et les terrains les plus divers, à un pays qui serait couvert à la fois de débris de temples assyriens, grecs, romains et modernes. Au milieu même d’un récit scientifique, il s’arrête pour assimiler la méthode de M. Alphonse de Candolle suivant de station en station les migrations du saxifrage, du chêne ou de la bruyère, aux inductions d’Augustin Thierry cherchant la trace des barbares voyageurs. Ressusciter le passé par l’histoire ou la géologie indifféremment, tel est son plan, et, pour montrer que les deux sciences sont semblables, il les confond à tout propos. Il donne l’exemple en même temps que le