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donne le spectacle d’une journée radieuse. Il faut ici confesser notre esclavage. Aimable servitude au demeurant, et qui ne procure que des douceurs ! Et pourquoi ne nous mettrions-nous pas à l’unisson de toutes les choses animées et inanimées, qui, sitôt que la lumière les touche, vibrent, tressaillent et manifestent dans mille langages divers la volupté stimulante et enchanteresse de ce contact ? C’est instinctivement et spontanément que nous la recherchons partout, et que nous sommes toujours heureux de la découvrir. Elle nous est en quelque sorte adéquate. Aussi quel rôle elle joué et quelle charme elle introduit dans les œuvres de la poésie et de l’art !

Ce n’est point ici le lieu de développer ce chapitre attrayant et presque inédit de l’esthétique, de montrer, par l’examen des milieux cosmiques et des grands maîtres de toutes les époques, la relation de l’atmosphère et de l’art, non pas d’après un ensemble d’analogies empiriques et de remarques subtiles, mais d’après une sévère physiologie et une rigoureuse optique. Il y aurait un beau tableau à tracer de ces aspects multiples et variables du ciel et de tous les caprices de l’illumination atmosphérique dans leur influence sur le physique et le moral des peintres, des poètes, des musiciens. La physionomie diversifiée du soleil, les feux de l’aurore et du couchant, les opalescences de l’air, les gazes du crépuscule, les réflexions bleues, vertes, irisées, nacrées de la mer ou de la montagne, toutes ces choses ont un fatal écho dans les élaborations intimes et inconscientes de la vie comme dans l’âme du spectateur intelligent des œuvres naturelles. Elles s’y traduisent par les vibrations les plus délicates, les plus caressantes et les plus efficaces. Celui qui les discernera, les démêlera, les classera et les comprendra dans leur ensemble extraordinairement complexe, celui-là rendra un grand service à la science et à l’art. Il ne fera point de l’artiste un automate, il n’assimilera point l’homme à une plante qui puise toutes ses vertus dans le terreau où elle est née, mais il saisira le mécanisme presque inaperçu de tout un système de rouages puissans.


FERNAND PAPILLON.