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blanche semble se partager, comme dit M. Dubrunfaut, en deux faisceaux complémentaires sous l’influence des êtres vivans, un faisceau vert et un faisceau orangé, qui manifestent des qualités antagonistes dans la nature. Ce qu’il y a de certain, c’est que la lumière verte est un très vif et très hygiénique stimulant de nos fonctions, et que le printemps est, à cause de cela, la saison privilégiée et enchantée.

La corrélation entre la perfection des formes et l’accroissement de l’intensité lumineuse se vérifie dans l’espèce humaine comme dans les autres. L’esthétique, d’accord avec l’ethnographie, démontre que la lumière tend à développer les différentes parties du corps dans une juste et harmonieuse proportion. Humboldt, si fin observateur, dit en parlant des Chaymas : « Hommes et femmes ont le corps très musculeux, mais charnu, à formes arrondies. Il est superflu d’ajouter que je n’ai vu aucun individu qui ait une difformité naturelle : je dirai la même chose de tant de milliers de Caraïbes, de Muycas, d’Indiens mexicains et péruviens que nous avons observés pendant cinq ans. Ces difformités du corps, ces déviations sont infiniment rares dans de certaines races d’hommes, surtout chez les peuples qui ont la peau fortement colorée. » Il est assez malaisé sans doute de concevoir comment la lumière peut modeler, exercer une action plastique. Pourtant, en considérant son effet tonique sur le tégument externe et son influence générale sur les fonctions, on peut lui attribuer le rôle de répartir le mouvement vital avec ordre et harmonie dans l’ensemble des organes. Les hommes qui vivent nus sont constamment dans un bain de lumière. Aucune des parties de leur corps n’est soustraite à l’action vivifiante du rayonnement solaire. De là un équilibre qui assure la régularité des fonctions et du développement.

On dit communément qu’une fatale causalité règle les opérations de la matière et qu’une libre spontanéité est l’apanage de celles de l’esprit. Peut-être pourrait-on remarquer à ce sujet que, dans bien des cas, les causes qui agissent dans la matière nous échappent, et que non moins souvent les causes qui agissent dans l’esprit nous écrasent ; mais nous n’avons pas ici à élucider cette redoutable antinomie où le génie de Kant a échoué. Nous voulons seulement faire remarquer combien la lumière a d’influence sur le système des fonctions intellectuelles. L’âme y trouve la moins décevante des consolations qu’elle cherche à l’éternelle tristesse de notre destinée, à l’âpre mélancolie des choses. La pensée, enchaînée et muette dans un endroit obscur, se dégage et s’anime le soir dans une salle éblouissante de clarté. Nous ne pouvons pas éviter les fâcheuses dispositions que provoque un temps sombre et pluvieux, ni résister à l’élan joyeux que