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d’un cercle, le fameux apophthegme killing no murder. Était-ce un souvenir des principes de la liberté antique, un accès d’indignation passagère ou seulement un paradoxe humoristique ? Je ne puis le dite. Au surplus, les tendances contradictoires de cette politique le déconcertent plus d’une fois, et, comme bien d’autres, il en vient, après dix ou douze ans d’observation, à déclarer indéfinissable pour lui le caractère de l’homme qui régit la France. « Il n’y eut jamais sphinx aussi parfait que Louis-Napoléon. Pour l’un, c’est un serpent venimeux, pour l’autre une colombe innocente, et tous prétendent avoir, pour parler ainsi, des raisons et des autorités également indubitables. »

Arrive, en 1852, la dissolution de la chambre des communes sous la courte administration de lord Derby. Lewis, qui se savait menacé dans le Radnorshire, se présenta en même temps à Peterborough. Il ne fut pas réélu. Il n’avait pas même besoin d’être consolé d’un tel échec ; il n’y voyait qu’un surcroît de loisir dont l’emploi ne l’embarrassait pas. En effet, quelques semaines après on lui offre la direction de la Revue d’Edimbourg à la place de M. Empson, qui venait de mourir. Il accepte, et bientôt il s’attache si vivement à ces jonctions que l’année suivante, lord Aberdeen lui ayant offert le gouvernement de Bombay, cette haute position ne le tente pas, et il refuse « pour rester fidèle à sa revue. » Le fait est qu’il avait toutes les qualités d’un excellent directeur. Je ne parle pas de la variété de ses connaissances, de sa curiosité universelle ; je pense surtout à cet esprit d’exactitude et d’initiative, à cette critique pénétrante, à cette adresse à manier les hommes, chose particulièrement nécessaire quand il s’agit de négocier avec les amours-propres littéraires. S’il lui manque un peu de ce tact qui consiste à ne prendre dans tous les sujets que la fleur, s’il estime trop peu l’art de les rendre accessibles et agréables à toutes les parties du public, qui, dans une revue comme à une table d’hôte bien servie, veut pouvoir au moins toucher à tout, j’ajoute que cet art est moins nécessaire peut-être au directeur d’une des grandes revues trimestrielles anglaises qu’à beaucoup d’autres. Discerner dans les matériaux fournis par la littérature ou la politique les points culminans sur lesquels se porte l’attention publique, traiter les questions du jour selon les principes et les intérêts du parti que la revue représente, telle est sa tâche ; mais cette tâche a ses difficultés que Lewis sent vivement. Il se plaint de la rareté des écrivains en état de traiter des sujets généraux, de la pente qu’ils ont tous à tirer le drap de leur côté : « la prolixité, écrit-il, est la bête noire d’un éditeur. »

Il était pourtant à même de combler bien des vides, étant prêt sur tant de choses et toujours disposé ; au travail.. C’est alors qu’il commence à publier cette suite d’articles sur les ministères qui se