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opinions de ce genre trouveront crédit dans la société, ceux qui s’arrogent le nom de classes instruites seront, au point de vue pratique, les dupes de tous les illuminés. Les détracteurs de la raison, de la logique, de la science, de la théorie, de la spéculation, de l’orgueil de l’esprit humain, et les panégyristes du sens commun, du sens moral, de l’humilité intellectuelle, etc., constituent deux grandes classes, dont les opinions revêtent une forme différente, mais reviennent en définitive au même. » Les années s’amassent, et, lorsqu’il écrit son livre de l’Autorité en 1847, il s’aperçoit que cette confiance juvénile l’a un peu abandonné. « J’ai perdu, écrit-il à M. Grote, de ma foi dans les avantages de la spéculation abstraite en morale et en politique, vu l’état actuel de la connaissance et de l’opinion ; j’écris plutôt pour moi que dans l’idée d’être utile. Il y a, ce me semble, trop peu d’accord sur les faits élémentaires des sciences morales pour qu’elles puissent être traitées abstraitement avec utilité. Un commentaire éclairé sur des données historiques bien vérifiées est la meilleure forme sous laquelle on puisse offrir au public quelque instruction sur de tels sujets, et une série de bonnes histoires en est le fondement et la préparation nécessaire. » Qu’on ne s’y trompe pas néanmoins, il est resté de ceux qui ne se rendent qu’à la démonstration et pour qui toute révélation est non avenue. Ses idées sur la religion percent peu dans ses lettres ; cette discrétion est déjà un indice significatif, et l’idée d’écrire un livre sur l’Autorité en matière d’opinions ne pouvait venir qu’à un homme affranchi de toute superstition. Il n’en avait aucune ; aussi le dimanche était-il son grand jour de travail, celui où il vaquait exclusivement à ce que j’appellerais ses occupations païennes. Quant aux superstitions des autres, il les regardait comme des forces morales et politiques dont l’homme d’état est obligé de tenir compte.

La même sobriété dans les conclusions caractérise son examen comparé des diverses méthodes applicables aux questions politiques. « L’ouvrage que j’ai dans l’esprit, écrit-il en le commençant, si je puis l’exécuter convenablement, serait un organum à l’usage de l’investigateur politique, un manuel pour servir de guide à l’historien et au politique dans la manière de diriger leurs recherches. Il embrasserait le corps entier des théories politiques depuis Platon sans réfuter séparément chacune d’elles, mais en montrant que les méthodes d’où elles procèdent étaient vicieuses et ne pouvaient, sauf accident, conduire qu’à l’erreur. » C’est le sujet que M. J. Stuart Mill venait d’aborder dans la dernière partie de sa logique. Lewis le reprend d’un point de vue plus pratique et avec plus de détails. C’est en somme l’éternel débat entre l’esprit géométrique et l’esprit de finesse transporté sur le terrain du gouvernement. Aux yeux de Lewis, les théories que la pensée élève de