Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 88.djvu/78

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Qu’est-il résulté de tout cela ? Aujourd’hui les illusions se sont dissipées au vent de l’expérience ; ce qui semblait un printemps n’était que l’éclat trompeur d’un soleil d’automne. Les dissidences ont subsisté, le catholicisme irlandais est devenu plus farouche, l’église anglicane n’a fait aucune conquête. Si elle ne paraît pas ébranlée comme établissement politique, les pertes qu’elle a essuyées comme sanctuaire de la vérité frappent tous les yeux. De terribles assauts lui ont été livrés. D’un côté, quelques-uns de ses fils les plus ardens, sur qui ses regards se reposaient avec complaisance comme sur les futurs instrumens de sa gloire, tournés au catholicisme, allument contre elle les foudres du Vatican. De l’autre côté, le rationalisme et la science l’assiègent, resserrent leurs lignes autour d’elle ou la minent au dedans : la critique quelque peu naïve de l’évêque de Natal, la critique des Essays and reviews, plus savante, mais également modérée, annoncent une profonde fermentation. Il y a quelque chose de plus grave encore : une manière de comprendre la vie plus indépendante, moins résignée, a pénétré parmi les masses ; elle gagne à vue d’œil, diminuant le crédit de l’église, secouant l’autorité de la hiérarchie, exigeant des gouvernemens une justice plus humaine, leur demandant des comptes plus exacts. D’où viennent ces ambitions nouvelles ? sont-elles un fruit malsain de la révolution française ou une inspiration du diable ? Il n’importe. Toujours est-il qu’en Angleterre comme partout la société tend à s’établir sur une base purement laïque. Ainsi les beaux rêves d’il y a vingt ans se sont évanouis. Ce n’était encore qu’une de ces fièvres de réaction auxquelles sont sujettes les institutions mourantes, qui les remplissent d’un délire joyeux, leur font croire à une résurrection de leur puissance et rêver de nouvelles conquêtes, puis tombent tout à coup et ne laissent que la profonde amertume et l’accablement d’une déception.

M. Gladstone n’a pas été le dernier à ressentir cette amertume, mais il ne s’est pas laissé accabler. Quand on le voit accomplir en Irlande une révolution à laquelle il serait absurde de penser que les destinées de l’église anglicane ne soient attachées par aucun lien, inaugurer le régime fondé par la réforme, à la veille de réaliser quelques-unes des conditions imposées aux démocraties modernes, comme l’obligation introduite dans l’instruction populaire, il paraît rien loin des idées de sa jeunesse, et ce changement il l’avoue en effet dans toute son étendue. En ce qui concerne l’Irlande, il croyait que l’église établie devait être maintenue comme seule en possession de la vérité, pour le plus grand bien du peuple anglais tout entier et pour le salut du peuple irlandais en particulier ; il ne le croit plus. Il espérait que cette église privilégiée finirait par conquérir le peuple irlandais à la vérité ; il ne l’espère plus.