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des bêches et des pioches des tranchées qui servent de barrières ; enfin les routes et chemins sont souvent des obstacles infranchissables, puisqu’ils peuvent interrompre les communications et servir de base aux travailleurs. Mais il ne suffit pas d’arrêter le mal, il faut le prévenir. Dès le XVIIe siècle, les états de Provence ont dû prendre des mesures contre ce fléau et prohiber les écobuages. La responsabilité pécuniaire des auteurs de l’incendie est illusoire ; le plus souvent, les dommages sont tels que toute la fortune des particuliers ne suffirait pas à les payer. Il faut donc aviser à d’autres moyens. Le premier qui se présente est l’ouverture dans toute cette région d’un vaste réseau de routes qui, tout en donnant aux produits des forêts une plus-value considérable, en permettant à la population de s’établir dans cette région, serviront de tranchées naturelles pour empêcher la propagation du feu. Il importe aussi d’opérer le débroussaillement des forêts, c’est-à-dire d’arracher tout le sous-étage d’arbustes qui sert d’aliment principal aux incendies ; cette opération doit se répéter plusieurs fois, jusqu’à ce que les souches laissées dans le sol aient cessé de produire des rejets. Les frais du débroussaillement s’élèvent de 50 à 300 francs par hectare suivant la nature du sol et la densité du peuplement qui le couvre ; ils constituent une dépense hors de proportion avec la valeur des bois achetés, car, faute de voies de transport, on est obligé de les incinérer sur place. Aussi la plupart des propriétaires essaient-ils de rentrer dans leurs fonds en pratiquant des cultures temporaires, c’est-à-dire en semant pendant quelques années des céréales sur le sol ainsi débarrassé des arbustes nuisibles.

Dans les forêts de pins, où les aiguilles desséchées et les fragmens de cônes sont les agens les plus actifs de la propagation des incendies, on s’en débarrasse par la méthode des nettoiemens à petit feu, qui consiste à isoler les parcelles par des tranchées et à allumer pendant l’hiver, sous la direction d’ouvriers armés de râteaux, des feux qui détruisent les arbustes. Cette méthode, fort employée, ne coûte pas plus de 1 franc par hectare.

Pour compléter ces mesures, la loi qui a été votée par le corps législatif a imposé à tout propriétaire d’un terrain non débroussaillé l’obligation d’ouvrir sur ses limites une tranchée de 20 à 30 mètres, de façon que ses voisins soient à l’abri, si le feu éclatait chez lui. De plus, elle a soumis la pratique de l’écobuage à des règlement qui ont pour objet d’empêcher qu’il ne soit effectué pendant la saison sèche.

Enfin on a organisé une surveillance spéciale au moyen de brigades ambulantes de gardes-forestiers qui seraient chargés de constater toutes les infractions commises par les propriétaires, et de diriger les secours dès qu’un incendie serait signalé.


J. CLAVE.

C. BULOZ.