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la fondation d’écoles publiques en Irlande l’excédant des revenus de l’église établie, il ne voulait pas même qu’on payât les prêtres catholiques qui accompagnaient dans l’Inde les soldats irlandais pour les instruire et les consoler. « N’achetons pas, disait-il, les applaudissemens de l’Irlande aux dépens de ce qu’il y a pour elle de plus précieux, ses intérêts spirituels. »

C’est un jeu curieux de l’histoire que M. Gladstone, après avoir soutenu de pareilles idées, ait été appelé à leur donner un démenti éclatant en allant bien au-delà des réformes que son livre proscrivait avec tant de force. Il est fâcheux assurément pour un homme politique d’arborer si haut à son début des principes qu’il sera forcé de désavouer par sa conduite, de prendre pour devise une erreur capitale sur les fonctions mêmes de l’état, — et quelle erreur plus grave, plus opposée à toutes les tendances modernes et plus dangereuse que celle qui consiste à donner pour rôle à l’état de maintenir et de propager la vérité religieuse ? On a peine à s’expliquer qu’une théorie semblable ait pu être professée en Angleterre en 1839, douze ou treize ans après que ce pays était entré dans la voie d’une politique plus libérale. À ce moment, l’église anglicane était tranquille dans la jouissance de ses privilèges. Les protestations élevées par les libéraux contre son autorité s’éteignaient sans écho. S’il venait à se produire dans son sein quelque indiscrétion de doctrine, elle souriait à ces légers écarts, sans s’en alarmer, comme à une effervescence de jeunesse. Elle venait de traverser une période de léthargie où le clergé avait été sans dignité, sans zèle et sans crédit. Réveillée par des événemens considérables qui semblaient pour elle une menace, par le rappel de l’acte du test en 1828, l’émancipation des catholiques en 1829, l’agitation et le succès de la réforme en 1831 et 1832, elle sortait comme rajeunie de cette longue torpeur. Il s’accomplissait en elle un travail sourd qui éclata, vers 1835, par l’apparition d’un esprit plus sérieux dans le clergé, d’une ardeur de prosélytisme qu’on ne lui connaissait plus depuis longtemps, d’une ferveur nouvelle dans les universités et dans les grandes écoles, et qui se manifesta jusque dans l’amour puéril du gothique, dans la réparation passionnée des vieux monumens religieux. C’était un renouveau de la foi, on n’avait rien vu de pareil depuis la réformation. L’église anglicane ne mettait point de bornes à l’orgueil de ses espérances. Elle se croyait à la veille de recueillir ses enfans égarés et de triompher bientôt de la résistance de ceux qui s’obstinaient dans l’erreur. Ce n’était pas pour elle le moment de désarmer ni de descendre aux transactions. Ce mouvement, encore à peine sensible de 1828 à 1831, pendant que M. Gladstone était à l’université, avait atteint son apogée en 1838, lorsqu’il écrivit son livre.