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chevalier des ordres, épouse au dénoûment, par-devant notaire, Mlle Juliette Capulet.

Revenons à l’Ombre. Ce petit drame à la Kotzebue est juste ce qu’il fallait à la musique. L’auteur a fort habilement travaillé à mettre en toute lumière la nature un peu complexe de ce Parisien du Meklembourg qui s’appelle M. de Flotow. On ne sait point assez ce qu’une pareille besogne a de difficile, et quel talent spécial elle exige de ceux qui s’y appliquent ; les plus habiles, et, comme on dit en argot de coulisse, les plus malins, s’y cassent le nez. Nous avons vu les jolis chefs-d’œuvre qu’a produits dans ce genre M. Sardou lorsqu’il s’en est avisé, et les jolis succès que sa collaboration a valus à ses musiciens. Le vrai maître en ce style fut Sedaine, dont l’art, agrandi, fouillé, développé par Scribe, s’est transmis à toute une génération d’hommes d’esprit que M. de Saint-Georges reste aujourd’hui presque seul à représenter. Une littérature peut avoir ses défaillances et prêter beaucoup à la plaisanterie, il n’en est pas moins vrai que le succès a toujours raison au théâtre comme ailleurs, et tous les sarcasmes du monde n’empêcheront pas M. de Saint-Georges d’être l’auteur de la Fille du Régiment et de Martha, les deux opéras les plus populaires qui existent en Europe.

L’Ombre aura-t-elle un aussi beau destin ? Pourquoi pas ? Rien ne s’y oppose que la température excessive qui règne à cette heure ; mais les grandes chaleurs passeront, et le public alors pourra jouir tout à l’aise de cette partition, très convenablement interprétée. M. Meillet, qui joue le rôle du brave docteur Antoine, est un de ces comédiens comme l’Opéra-Comique en a souvent formé. C’est là en effet une école bien française, d’où sortent plus de bons acteurs que de chanteurs. A la voix qui sombre et disparaît, survit le talent du geste et de la diction, et vous avez alors des artistes qui, comme M. Mocker, M. Couderc, peuvent, jusque dans leurs vieux jours, occuper la scène aux applaudissemens des vrais connaisseurs.

M. Monjauze m’a paru outre-passer un peu les conditions de l’Opéra-Comique, il force la note et le geste ; c’est trop de fougue pour l’endroit. Plus de calme, capitaine, nous ne sommes plus à Rienzi. Ces redondances et ces éclats sont le mauvais côté de la voix de M. Monjauze. Il devrait chanter tout le rôle comme il chante la romance du troisième acte, en développant sans fatigue les cordes tendres et sympathiques.

Il n’y a rien de tel que la beauté pour se prêter à tous les costumes ; soyez d’abord jolie, et le reste vous sera donné par surcroît. Qu’importent à Mlle Marie-Roze ces habits de mendiante dont toute autre qu’elle s’effaroucherait ? Sa coquetterie, loin d’en souffrir, y trouve au contraire un nouveau ressort. Quand elle paraît, gracieusement emmitouflée dans sa capeline de bure noire, vous diriez une pieta de Boucher, une de ces Madeleines qui portent au menton la mouche assassine, et dont le repentir glorifie le péché. Par le talent qu’elle déploie dans le rôle de