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nous parlions, — et qui devait fatalement conduire à une crise dont M. Thiers moins que tout autre aurait pu s’étonner, puisque trois jours auparavant il mettait le doigt sur la cause d’où elle pouvait naître à chaque instant ? Il y a dans l’histoire de la campagne de 1866, rédigée par l’état-major prussien sous la direction du général de Moltke, un mot jeté lestement des la première ligne : « la guerre qui a eu lieu entre la Prusse et l’Autriche était une nécessité historique, elle devait nécessairement éclater tôt ou tard. » C’est un trait de philosophie qui dispense de toute justification. Depuis quatre ans, on pourrait dire aussi que la guerre entre la France et la Prusse « devait nécessairement éclater tôt ou tard, » qu’elle était inévitable ; mais qui l’a rendue inévitable ? Voilà la question. Elle a une double origine, cette guerre ; elle a une cause spéciale, immédiate, elle est née d’un incident qui a disparu, de la candidature d’un Hohenzollern au trône d’Espagne : qui a provoqué cet incident ? qui a prétendu abriter sous cette candidature ses velléités envahissantes ? La guerre a aussi une cause générale, permanente, la situation armée et agressive de la Prusse, la politique qui prépare l’Allemagne au combat pour une ambition surexcitée au lieu de la conduire à la civilisation par la liberté ; qui a fait cette situation ? qui a créé cette politique inévitablement offensive ? Le cabinet de Berlin a beau appeler le monde en témoignage de son innocence, de ses sentimens pacifiques ; il ne peut intervertir les rôles et déplacer la vérité des choses.

En réalité, la France n’a fait que prendre les armes pour sa défense, pour sa sécurité, pour repousser un système qui se présentait à elle sous la double forme d’un incident blessant et d’une menace permanente pesant sur ses frontières. Elle n’a pas cherché une occasion, à laquelle elle ne songeait pas la veille, qu’elle ne pouvait pas même prévoir, elle l’a subie, et dans cette guerre qui commence, qui est pour elle un acte essentiellement défensif, elle ne peut porter aucune pensée de conquête, aucune ambition de prépotence abusive ; elle a cet avantage de ne menacer personne et de couvrir de son drapeau bien des intérêts en péril. Sans doute M. de Bismarck, en habile stratégiste qu’il est, peut imaginer des diversions, essayer de noyer la véritable affaire du moment dans des commérages, et tenter toute sorte de coups inattendus destinés dans ses calculs à exciter l’opinion de certains pays contre la France. C’est ce qu’il vient de faire en tirant du plus profond de ses portefeuilles un prétendu projet de traité que la France lui aurait proposé il y a quelques années, et où il n’aurait été question de rien moins que de se partager amiablement la Belgique, la Hollande, l’Allemagne du sud, le Luxembourg, les provinces du Rhin. C’est le prologue avant le drame. Le chancelier de la confédération du nord s’entend visiblement à la mise en scène, et on comprend l’effet momentané qu’a pu produire, notamment en Angleterre, une telle divulgation. Fort bien. ; notre diplomatie a été un peu naïve, à ce qu’il semble, elle s’est laissé prendre