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bouillonnement d’intérêts qui s’y produit depuis que les classes qui étaient seules en possession du pouvoir ont dû le partager avec la communauté tout entière, le plus clairvoyant des hommes d’état peut à peine prévoir du jour au lendemain quels seront les désirs et les besoins qu’il a pour mission d’étudier et de satisfaire, il n’est que juste de lui accorder une assez grande latitude de conduite et d’idées ; mais c’est à la condition de garder un esprit libre et de s’abstenir des affirmations tranchantes. Sans accepter l’inquisition tyrannique que s’arrogent volontiers les partis sur ceux qui ont une fois adopté leur drapeau, sans parler d’apostasie ni de désertion, comme si chaque parti était une armée ou une église, personne ne niera que la politique serait une école de scandale et d’immoralité, que les affaires de la société elle-même seraient en péril comme celles de la conscience, si les paroles n’y engageaient point, si la vie publique pouvait devenir impunément un théâtre de métamorphoses intéressées et une arène d’ambitions sans pudeur.

Tels n’ont point été les changemens de M. Gladstone. Quels que soient les excès auxquels l’esprit de parti se laisse emporter, et si loin que M. Gladstone soit aujourd’hui de ses opinions premières, personne n’a jamais cru de bonne foi qu’il les ait abandonnées par calcul. Il a le droit de se déclarer encore, sans exciter l’ironie, un puriste en ce qui concerne la consistance nécessaire des hommes d’état ; il peut répéter aujourd’hui ce qu’il disait en 1852, et nul ne doutera de sa sincérité : « Je suis toujours disposé à voir avec regret la rupture des liens de parti. Je regarde, je l’avoue, non pas avec soupçon, mais avec désapprobation, quiconque traite ces relations de parti comme chose de peu d’importance ; mon opinion très ferme est que les liens de parti et la fidélité aux engagemens qu’ils imposent sont pour beaucoup dans la confiance que doit inspirer à la nation la chambre des communes. » D’où vient donc que M. Gladstone n’a pas dédaigné de régler ses comptes avec l’opinion, et de solliciter les circonstances atténuantes ? Certes bien des hommes d’état, même parmi ses contemporains en Angleterre, auraient eu plus besoin que lui de présenter un plaidoyer pareil, qui ont cru pouvoir s’en épargner la peine. Ils avaient pour la plupart à leur service une excuse commode, irréfutable, c’est qu’ils n’ont jamais été les fanatiques d’une opinion, et qu’ils se sont considérés avant tout comme les disciples des circonstances et les serviteurs de la nécessité. Au contraire M. Gladstone a le malheur d’avoir pris, il y a plus de trente ans, position par un livre dogmatique qui lui interdit absolument cette apologie.

M. Gladstone a un goût décidé pour les travaux littéraires. C’est un scholar accompli. Horace et Virgile se mêlent agréablement aux chiffres dans ses discours d’affaires. A l’heure qu’il est, il fait ses