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vers qui célèbrent « l’heureux et le bon jour, » et la beauté de la jeune fille, joyeuse de déposer la párta, bande de velours noir formant couronne et ornée de perles fausses, de laquelle tombe une masse de rubans de soie aux couleurs variées. L’appétit satisfait, les plus facétieux improvisent des chants ou des récits en l’honneur du jeune ménage. Lorsque les époux ont un enfant, la poésie prend part à leur joie, comme elle avait célébré leur union. Le festin somptueux qui suit le baptême ne serait pas complet, si les improvisateurs n’y exerçaient pas leur verve poétique. La famille perd-elle un de ses membres, la muse populaire vient veiller auprès de son lit funèbre, comme elle a près de son berceau chanté son arrivée dans la vie, et au milieu du solennel silence de la nuit, on entonne des chants lugubres autour du mort.

C’est la poésie populaire qui traduit la vie politique et sociale d’une nation. Si elle en est le reflet, elle lui doit aussi ses conseils et ses inspirations en les variant selon la fortune et les circonstances. La nationalité hongroise a pris depuis Sadowa une importance exceptionnelle dans l’Europe orientale ; l’Autriche lui a fait les concessions qu’elle réclamait en vain depuis la capitulation de Világos. Dans « l’empire austro-magyar, » — l’expression est maintenant officielle, — la Hongrie n’a pas tardé à jouer un rôle considérable, et elle ne manque pas d’hommes d’état qui la croient réservée, grâce à la solidité de ses institutions libres, à des destins encore plus éclatans. Il s’en faut pourtant qu’elle ait triomphé des immenses difficultés qui lui ont été léguées par le passé, et qu’elle puisse voir sans souci celles que le présent a créées. La théorie des « grandes agglomérations » menace les Magyars comme tous les petits peuples. En outre la Hongrie trouve chez elle un genre de difficultés que les nations qui occupent le premier rang sont ordinairement seules à connaître. Les chants contiennent bien des allusions aux luttes qui existent entre les élémens si variés dont se compose le royaume apostolique. Petöfi se posait lui-même un redoutable problème : « pourquoi Croates et Valaques, — Saxons, Serbes, attaquez-vous — celui qui contre les Turcs et les Tartares — vous défendit le sabre en main ? » Il n’est pas difficile de comprendre l’origine de ces graves complications. Les Magyars, en réveillant contre l’Autriche l’esprit de race, ont sans doute contribué à lui donner chez eux une ardeur que les tendances du temps n’ont cessé d’entretenir, et qui les préoccupe avec raison. Aussi ont-ils songé à satisfaire la Croatie, qui ne semble plus leur donner autant d’inquiétude. En Transylvanie, les affaires sont moins avancées, et les Roumains, qu’on avait fort ménagés à Vienne depuis 1848 en raison du peu de sympathie qu’ils montraient pour la cause magyare, ne paraissent pas avoir renoncé à leurs