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ainsi que les droits sur le sucre et le thé établis pendant la guerre, ou bien se résoudre, si l’on voulait supprimer ces droits, à une notable élévation de la taxe sur les revenus.

Heureusement ce budget se rattachait à un événement qui le signalait entre tous, à savoir la conclusion du traité de commerce avec la France, complément de la vaste entreprise commencée, dix-huit années auparavant, par sir Robert Peel. Quoi qu’on puisse dire de l’esprit mercantile de l’Angleterre, s’il faut lui faire une part dans la conclusion du traité de commerce, il est certain que les promoteurs du traité, M. Bright[1], M. Cobden, M. Gladstone, ont obéi avant tout à une pensée politique ; ils se proposaient de resserrer entre les deux nations un accord qu’ils considéraient comme essentiel à la civilisation. M. Gladstone avait raison de dire que, si les prohibitions étaient nées de la guerre entre les deux pays, la suppression de ces barrières, élevées par l’antagonisme et la haine, devait non-seulement profiter à la richesse et à l’industrie des deux peuples, mais augmenter l’accord qu’il est à souhaiter de voir régner entre eux. Il était dans le vrai en ajoutant : « Il y eut un temps où d’étroites relations d’amitié étaient établies entre les gouvernemens d’Angleterre et de France, c’était sous le règne des derniers Stuarts, et ce temps forme une tache dans nos annales, parce que cette union reposait sur un esprit d’ambition dominatrice d’un côté, de basse servilité de l’autre. Il ne s’agit pas à cette heure d’une union entre les gouvernemens, ce sont les nations qu’il faut unir, et j’affirme avec confiance qu’il n’y eut jamais d’union entre les nations d’Angleterre et de France qui ne fût un bienfait pour le monde, parce qu’au moment même où l’une des deux conçoit des plans d’agrandissement égoïste, la jalousie de l’autre réagit énergiquement, de sorte que leur seule harmonie sera toujours la preuve décisive qu’elles ne méditent ni l’une ni l’autre aucun projet dangereux pour l’Europe. »

Si parfaitement gagnée cependant que fût auprès des esprits éclairés en Angleterre la cause de la liberté, il ne faut pas s’imaginer que le traité ne soulevât point d’objection. Les inébranlables partisans de la protection, — ils n’avaient pas tous disparu, — ne voyaient que le déficit et demandaient si le moment était bien choisi, en présence d’une situation qui était presque une crise, pour bouleverser le système des douanes et courir les hasards d’un nouveau régime. Les patriotes ombrageux, encore sous l’impression des exigences peu mesurées du gouvernement français en 1858, après l’attentat d’Orsini, qui se rappelaient et les harangues de M. de Morny,

  1. Voyez son discours du 21 juillet 1859 contre la politique financière du ministère Derby. C’est à la suite de ce discours que M. Michel Chevalier fit les ouvertures qui ont abouti au traité de commerce.