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l’Occident s’est plutôt fait sentir dans les lois que dans les mœurs. Si les charges féodales, la dîme par exemple, ont longtemps favorisé l’inertie parmi les paysans, un grand nombre d’entre eux ont pris place aujourd’hui dans la classe des petits propriétaires, et la noblesse, qui elle-même est essentiellement agricole, voit ses immenses domaines diminués de jour en jour par cette égalité des partages que l’aristocratie anglaise n’a jamais consenti à subir.

Le mot village n’a pas ici le même sens qu’ailleurs. Les villages magyars sont vastes et peuplés. Les invasions turques empêchant les paysans de se répandre dans la campagne, la population rurale a dû s’accumuler dans des bourgades considérables. Au-delà de la Tisza, ces bourgades ont souvent de 10,000 à 15,000 habitans ; mais elles ont pu grandir en conservant leur physionomie primitive. Debreczin même, la cité magyare par excellence, qui ne possède pas moins de 60,000 habitans, a conservé dans sa plaine aride l’aspect d’un camp, que rappellent ses rues, poudreuses ou boueuses suivant la saison, se prolongeant indéfiniment entre deux rangées de maisons généralement petites et blanchies à la chaux sur tous les côtés. Les dates fameuses de 1567 et de 1849 attestent que de ce camp sont toujours prêts à sortir d’ardens adversaires du pouvoir absolu, — qu’il soit religieux ou politique, — et que les cités qui ont gardé fidèlement l’esprit des ancêtres abritent une population qui a toujours la virile énergie du laboureur et du pâtre.

La rude existence que mènent tant de gens dans la puszta et dans la forêt les prépare à devenir d’excellens soldats, surtout d’admirables cavaliers. Aussi les gens du peuple croient-ils volontiers que Napoléon aurait obtenu les succès d’Alexandre et de César, s’il avait pu joindre dans ses camps à son inébranlable infanterie l’impétueuse cavalerie qu’auraient pu lui fournir 5 millions de Magyars. La poésie populaire, qui partage au plus haut degré les inclinations militaires de la nation, décrit avec complaisance la transformation du fils des steppes en soldat, en hussard, car le hussard semble l’homme de guerre accompli. Le huszár remonte jusqu’au règne glorieux de Matthias Corvin. il était, parmi les troupes que le magnat amenait à l’armée, aussi considéré que le chevalier parmi les archers de l’Occident. Les comtes Eszterházi et Bercsényi, compagnons d’armes du célèbre Rákóczi, introduisirent les hussards en France au XVIIr siècle, et les mots français qui désignent les différentes parties de leur uniforme, qui n’est autre que le costume national hongrois, sont des mots magyars plus ou moins altérés. Les prodiges que cette cavalerie à réalisés dans la dernière lutte contre le gouvernement de Vienne n’ont fait qu’augmenter sa popularité, et pour la poésie le hussard est resté « le chef-d’œuvre de la nature. »