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sanglier, dont on a fait tant de tableaux plus ou moins dramatiques, est un véritable jeu d’enfans ; — ses traits, son attitude, montrent assez qu’il commande constamment à ses impressions, que la solidité de ses nerfs est inébranlable. « L’hydre à sept têtes n’eût pas pu le jeter par terre » (Petöfi). De tels hommes, mieux que toutes les murailles, sont la forteresse de la nationalité magyare. Si le pays était envahi, une nuée de cavaliers sortirait de terre pour le défendre, et l’extrême inégalité du nombre n’effraierait point des gens qui n’ont pas besoin, lorsque l’heure de la lutte a sonné, d’apprendre les vertus essentielles du soldat.

Ils en ont les goûts et aussi les défauts. On a reproché aux généraux des pays latins la passion des panaches, des broderies, des plaques et des rubans. Le csikós, qui est aussi peu latin qu’il est possible de l’être, attache à la parure une importance extraordinaire. Quoique son costume ne diffère pas essentiellement de celui du gulyás, il sait lui donner une véritable élégance. Sa chemise de toile aux manches flottantes est soigneusement festonnée, son chapeau à larges bords est paré de rubans ou de fleurs artificielles, son dolman brodé est orné de boutons de métal, sa gatya est longue et large ; ses bottes, assez vastes pour y mettre la pipe et la bourse, sont armées d’éperons à molettes énormes. Il ne quitte pas, même à cheval, la redoutable csákány, et à son fouet, dont le manche est fort court, flotte une très longue lanière. Ce fouet fameux, orné de nœuds, de boutons de plomb, et terminé par une boule de même métal, devrait être, dit un écrivain, conservé dans le musée impérial de Vienne à côté de l’épée de Scander-Beg, terreur des Ottomans. Si le csikós s’en sert avec une dextérité inouïe comme d’un lacet pour s’emparer d’un cheval, il l’emploie avec un égal succès contre ses adversaires, comme les gauchos des pampas emploient le lasso et la bola.

Le mépris du bourgeois, si prononcé chez les soldats de Napoléon Ier, a son équivalent dans le caractère des csikós. Comme ils passent l’année presque entière loin des villages, qu’ils acquièrent dans leur rude existence une vigueur qui n’exclut pas la régularité des formes, ils sont assez disposés, — sans avoir a ni toit ni cheminée à eux, » mais seulement « un chien et un bon cheval, » — à faire peu de cas des gens qu’ils rencontrent à la csárda ou dans les grands marchés. Ils ont l’air de répéter le refrain de Petöfi : « je suis csikós sur la puszta magyare ! » Leur attitude, surtout lorsqu’ils sont à cheval, rappelle assez l’air dont un pallicare regarde la foule. Un csikós qui attend son amante dans la puszta et qui ne la « voit pas encore » se fâche si promptement qu’il fait penser à ce souverain qui avait failli attendre. Dans sa fureur, il prie Dieu de la frapper, si elle manque à son serment, puis il ajoute fièrement :