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permettait d’en conserver une partie[1]. En effet, quoique la Magyarország (Magyarie) ait des montagnes qui s’élèvent jusqu’à la région des neiges éternelles, et que les monts forment au nord, à l’est et à l’ouest une enceinte faite pour protéger une nation jalouse de son indépendance, les vastes plaines qui occupent le centre du pays conviennent à un peuple « créé pour monter le cheval, » dit un proverbe. La Grande-Plaine ou plaine de la Basse-Hongrie, située à l’orient, entre le Danube et la Tisza (Theiss), comprend un espace de 1,100 myriamètres carrés, dont 700 appartiennent à la Hongrie. On peut donc dire que cette plaine est une des plus étendues de notre continent, et qu’elle rappelle ces déserts que parcouraient les anciens peuples touraniens. N’étant que de 133 mètres au-dessus du niveau de la mer et de 33 mètres au-dessus du Danube, elle se trouve recouverte, dans de grands espaces situés sur les rives du Danube et de la Tisza, d’énormes marécages remplis de roseaux et d’aunes.

Moins grande, quoiqu’elle soit vaste encore, est la Petite-Plaine ou plaine de la Haute-Hongrie, qui s’étend sur les deux rives du Danube, entre Posonie (Presbourg) et Comarom (Komorn). Entourée de tous côtés de montagnes, elle s’élève en pente douce jusqu’au pied des monts. Cette plaine, riche et parfaitement cultivée, porte le nom expressif de « Jardin d’or, » comme les environs de Palerme ont été appelés la Conca d’oro.

Le Magyar n’a pas en général le goût du Finnois pour l’agriculture ; il a plutôt, comme les Mongols, un penchant décidé pour la vie pastorale, penchant qu’un pays tel que la « Grande-Plaine » était, il faut bien le dire, fait pour développer. L’Occidental comprend difficilement les impressions que les steppes produisent sur ceux qui ont été habitués à les considérer dès l’enfance comme les seules contrées où l’homme puisse conserver la pleine liberté de ses mouvemens. La manière dont les poètes arabes parlent du désert (à propos de la plaine, la puszta, Petöfi rappelle lui-même le libre Bédouin) prouve assez que les villes ! es plus civilisées, les champs les plus riches, sont bien loin d’être l’idéal des hommes qui ont gardé les instincts d’indépendance du monde primitif. La montagne aux aspects variés, qui charme M. Michelet, semblait à la lettre insupportable à Petöfi, qui aurait dit volontiers comme un csikós[2] : « Dieu me préserve d’aller là, j’étoufferais. » Il admire, si l’on veut, « la romantique contrée des grands Karpathes que couronnent les pins ; »

  1. Voyez l’excellente Description géographique, historique et statistique de la Hongrie, par J. Palugyay ; Pesth 1852-55.
  2. Le mot csikós vient de csikó, jument poulinière, comme gulyás de gulya, troupeau de bœufs, juhász de juh, brebis, kanász de kan, porc.