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nationalité expirante, il est la personnification d’un peuple qui apparaît triomphant sur la scène de l’histoire.

On rattache au cycle d’Arpád trois légendes du Xe siècle où les capitaines magyars continuent contre le monde chrétien une lutte qui devait aboutir à leur laborieuse conversion, la légende de Leel et de Bölcsü, des « Magyars honteux » et celle du nain Botond. Cette dernière, que Turóci et Kézai prennent fort au sérieux, prouve que les autocrates ne produisaient pas plus d’effet sur l’imagination de ces terribles païens que les chefs du « saint empire. » Ceux-ci finirent par recourir au moyen de conversion usité au moyen âge. Le mérovingien Dagobert avait propagé le catholicisme avec l’épée dans l’Allemagne méridionale. Les Carlovingiens employèrent parmi les Germains du nord le système qui avait si bien réussi en Bavière, et l’on sait comment Charlemagne amenait les Saxons dans le giron de l’église. Après le désastre d’Augsbourg (désastre dont la légende de Leel et de Bölcsü est un souvenir), Othon Ier, empereur d’Allemagne, n’accorda la paix à la nation magyare que lorsqu’elle eut promis d’embrasser le christianisme ou du moins de tolérer les missionnaires ; mais ces prédicateurs n’eurent aucun succès sous le « grand-prince » Taksony, second successeur d’Arpád, et n’auraient probablement pas mieux réussi sous Gyéza, si une nouvelle Clotilde, Sarolt, n’avait pas assuré le triomphe du catholicisme dans ce pays. Elle fut récompensée de son zèle par des prodiges dans lesquels il n’est pas difficile de reconnaître le travail de l’imagination populaire, fortement frappée par la naissance du « royaume apostolique » dans un des plus ardens foyers de la barbarie païenne.

Almos, on ne l’a pas oublié, était « l’enfant du rêve, » le fils en qui revivait Etele, dont l’âme ne pouvait abandonner son peuple. Le « fléau de Dieu, » en épargnant la sainte cité pour obéir à la voix de l’ange, avait mérité sans doute que sa postérité, perpétuée par un événement surnaturel, vît naître un fils dont la conception serait cette fois pure de toute intervention des vieilles divinités de la nature, condamnées à céder leur place à la religion du Christ. L’ange avait dit « qu’un jour viendrait où un descendant du roi des Huns obtiendrait dans ces mêmes murs de Rome, et de la main du successeur des apôtres, une couronne dont la durée n’aurait point de fin. » Aussi le fils de la première nation qui adopta le christianisme, repoussé par les Juifs, le proto-martyr de la foi en Jésus, le diacre dont le nom même (Stéphanos) annonçait prophétiquement la destinée auguste de l’héritier d’Arpád, fut envoyé à Sarolt, tandis que, après avoir gémi sur sa stérilité, elle avait cédé au sommeil. Le saint, resplendissant de beauté comme l’ange qui apparut à Marie, lui annonça qu’elle concevrait un fils, et qu’une couronne « d’une durée infinie » était réservée à celui qui devait porter le nom d’Etienne.