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à des souvenirs malheureusement trop confus, il nous serait beaucoup plus facile de nous faire des idées exactes de l’exode des nations qui, sorties des steppes de l’Asie, sont venues se fixer dans l’Europe orientale. Le plus ancien chant qui se rapporte à l’épopée magyare nous montre Arpád, le conquérant considéré comme l’héritier d’Etele, prenant possession de la Pannonie. Ce chant, qui jouit d’une certaine célébrité, a été découvert par l’historien George Pray, qui supposa qu’il appartenait à la fin du XIVe siècle ou au commencement du XVe. Pray croyait qu’il était une forme nouvelle d’un chant plus ancien. Le comte Jean Mailáth le fait remonter au XIIe siècle, tandis que pour Étienne Horvát il doit être regardé comme l’œuvre de Démétrius Csáti (XVIe siècle). M. Toldy, dont l’opinion fait autorité, adopte l’hypothèse de Pray, sans penser que ce chant est une œuvre originale des troubadours. L’auteur de l’Histoire de la Littérature nationale des Magyars serait plutôt disposé à le considérer comme la transformation d’un chapitre du chroniqueur anonyme de Charles-Robert, écrivain qui du reste a su plus d’une fois tirer parti des anciens chants. Le poète, sans se préoccuper de problèmes inconnus à son époque, commence par dire que les Magyars « partirent de la Scythie — pour venir dans ce pays, — accompagnés par Dieu ; ils s’arrêtèrent en Transylvanie. » Là, ils établirent un commencement d’organisation sociale en se partageant en sept corps, qui choisirent pour chefs « sept braves, » et ils donnèrent à chacun un « château. » Cette division de leurs forces n’affaiblit pas la concorde. « Toujours pleinement d’accord dans leurs entreprises, — puissans dans les batailles, — sans aucune crainte dans le pays, — ils vivent en sûreté, protégés par leur courage. » Aussi sont-ils comparés à Samson et au lion. Le « meilleur du peuple » et aussi le plus riche, Arpád, fut choisi « comme chef suprême » ou duc.

C’est alors qu’ils entendirent vanter l’eau du Danube ; on leur dit aussi que la terre était excellente, et que nulle part on n’en pouvait trouver de plus fertile. On chargea un Magyar d’aller visiter le pays pour savoir à quoi s’en tenir. L’envoyé confirma les rapports faits à ses compatriotes. Malheureusement le pays avait des maîtres ; il obéissait à un « duc de Pologne » résidant à Vesprém[1]. Quant aux habitans, « ils étaient entièrement Teutons. » Le messager se hâta d’aller à Vesprém, et, dès qu’il fut en présence du duc, il le salua respectueusement ; puis, quand il eut reçu l’ordre de parler, il s’exprima ainsi : « On m’a envoyé pour te voir, — pour parcourir tout l’on pays, — pour m’informer de ta résidence — et apprendre les

  1. « Qui régnait après Attila, » dit Turóci, empressé de supprimer toute période intermédiaire entre les Huns et les Magyars. On reconnaît ici la hardiesse des légendes