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doctrine de M. Taine, non pas simplement un excès de formule comme dans nos objections précédentes, mais un vice de méthode, c’est-à-dire l’emploi exclusif de procédés qui enferment sa pensée dans un point de vue trop étroit pour lui laisser du jour sur certains aspects de la réalité. Voilà ce qu’au nom de l’expérience elle-même il est possible de répondre aux prétentions, d’une analyse trop ambitieuse. Quand. M. Taine et les philosophes de la même école nous parlent des préjugés du sens commun, des illusions du sens intime et du sens moral, il faut qu’ils sachent que c’est au nom d’une hypothèse, c’est-à-dire d’une induction illégitime, qu’ils portent ce jugement. Leur explication, malgré certaines apparences scientifiques, n’a pas d’autre caractère, et, chose piquante, il se trouve que les adversaires les plus décidés de l’a priori lui font la plus large part dans les conclusions de leur analyse. Eux aussi font de la métaphysique à leur façon en expliquant par la décomposition de la réalité comment certaines propriétés, certains attributs que l’expérience lui reconnaît, sont impossibles, partant illusoires ; comment l’homme qui se sent un être, un individu, n’est qu’un système d’actions et de réactions, sans autre unité que celle d’une résultante, sans autre loi que celle de l’équilibre, absolument comme dans le monde de la pure mécanique ; comment le pouvoir que croit posséder le moi de gouverner et de diriger jusqu’à un certain point son activité intérieure et extérieure est tout à fait imaginaire ; comment il ne fait pas, mais tout se fait en lui par une fatalité mécanique, quand il se croit la cause plus ou moins libre de ses actes volontaires ; comment enfin la vie humaine est une scène où aucune action n’a d’acteur véritable. Métaphysique pour métaphysique, hypothèse pour hypothèse, M. Taine nous permettra de ne point regarder cela comme le dernier mot de la philosophie, et de chercher dans une autre voie et par une autre méthode une explication plus haute des choses et plus conforme aux révélations intimes de la conscience.

L’analyse, on vient de le voir, conduit nécessairement à ce point où la pensée ne voit plus que les élémens des choses, en perdant de vue tout ce qui fait leur être même. La lumière qu’elle donne n’est qu’une lumière souterraine qui éclaire le dessous, non le fond de la scène, en faisant la nuit, sur les vrais caractères de l’action qui s’y passe. Quel flambeau éclairera tout à la fois le haut et le fond de cette scène, sinon la synthèse ? Il est certain que la composition des principes élémentaires a dans le monde des êtres vivans le caractère non d’une simple juxtaposition, mais d’une organisation, d’une création véritable. Il est bien difficile quant à ces élémens eux-mêmes, de les considérer comme de simples forces, n’ayant pas