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nous servir de ses formules parfois trop arithmétiques, il rend compte de toutes les opérations de la pensée et de tous leurs produits. Il est trop fidèle aux méthodes positives de son temps pour méconnaître les caractères propres des divers actes intellectuels qu’on vient de nommer. Unité d’origine, mais diversité de nature, telle est la conclusion. Si l’image vient de la sensation, elle est autre chose que la sensation ; si l’idée dérive de l’image, elle est autre chose que l’image. Nul n’a mis mieux en relief les différences qui distinguent les actes intellectuels entre eux ; mais nul non plus n’a fait autant d’efforts pour exterminer l’a priori du domaine de l’intelligence.

M. Taine ne s’en tient pas là. Ce n’est pas seulement dans le champ des spéculations rationnelles qu’il poursuit, l’a priori, c’est encore dans le monde des révélations de la conscience. Pour lui, toutes ces prétendues vérités de sens intime connues sous les dénominations de cause, de sujet, de force, de faculté, d’activité spontanée, de liberté, de volonté, de personnalité, de moi, d’être vivant, agissant et pensant, ne sont que des mots n’exprimant absolument que des mouvemens, des séries permanentes, des assemblages d’événements soumis à des lois fixes. Quand on dit : Le moi sent, pense, veut, cela doit se traduire ainsi en langage scientifique : les événements moraux qu’on nomme sensations, pensées, volitions, se groupent de façon à former système. L’unité du moi, de la personne humaine, dont le psychologue spiritualiste fait une âme, un esprit, un être à part, n’est que l’unité d’un tout, d’un organisme tout au plus, la vie organique elle-même se résolvant dans un système de mouvemens physiques et mécaniques. Une image originale, comme M. Taine sait en trouver, résume fort bien toute sa doctrine ; mais toute la page est à citer, si l’on veut juger de la netteté saisissante avec laquelle M. Taine présente ses idées. « On peut, d’après ces exemples, se former une idée de notre machine intellectuelle. Il faut laisser de côté les mots de raison, d’intelligence, de volonté, de pouvoir personnel, et même de moi, comme on laisse de côté les mots de force vitale, de force médicatrice, d’âme végétative ; ce sont des métaphores littéraires, elles sont tout au plus commodes, à titre d’expressions abréviatives et sommaires, pour exprimer des états généraux et des effets d’ensemble. Ce que l’observation démêle au fond de l’être vivant en physiologie, ce sont les cellules de diverse sorte capables de développement spontané, et modifiées dans la direction de leur développement par le concours ou l’antagonisme de leurs voisines. Ce que l’observation démêle au fond de l’être pensant en psychologie, ce sont, outre les sensations, des images de diverse sorte, primitives