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préjugés populaires n’est jamais plus révoltant qu’employé par un ministère qui tend ainsi des pièges à l’intérêt et qui enveloppe de promesses captieuses ses pensées rétrogrades. « Si, dit-il, parce qu’il sait qu’une grande partie du pays nourrit des préférences pour tel ou tel mode particulier d’impôt, un gouvernement déroge à la règle salutaire qui lui commande d’apporter des propositions précises et d’accepter non-seulement la responsabilité des idées générales sur lesquelles ces propositions reposent, mais celle des moyens par lesquels il entend les mettre à exécution, si un gouvernement croit bon de capter les esprits en faveur de ses principes sans affronter la difficulté de les appliquer, que d’autres apprécient comme ils voudront la politique financière d’un tel gouvernement : il me trouvera, quant à moi, parmi ses adversaires résolus, car je sais que cette manière de flatter les pires élémens de l’opinion et les passions grossières est pleine de dangers. On nous dit qu’il est nécessaire de modérer et d’arrêter le progrès de la démocratie ; mais il n’existe pas de moyen plus sûr de l’accélérer que de jeter en pâture au monde des plans chimériques et des projets financiers que ceux qui les énoncent ne savent comment réaliser. » Puis, après avoir adressé un éloquent appel à ceux dont le courage et le désintéressement avaient soutenu Robert Peel, en 1842, dans la voie nouvelle qu’il tentait d’ouvrir, il disait : « Je vote contre le budget du chancelier de l’échiquier, non-seulement parce que je réprouve les principes généraux de ce budget, mais encore et surtout parce que dans ma conscience, — puisse ma conviction être erronée ! — je le considère non pas comme le plus libéral ou le plus radical, mais comme le plus subversif dans ses tendances et dans ses derniers effets qui ait jamais été soumis à la chambre… Si je vote contre le budget, je le fais pour maintenir ces principes conservateurs, communs, grâce à Dieu, à toutes les parties du parlement britannique, mais dont je m’imaginais.que le parti conservateur revendiquait comme une gloire qui lui était propre d’être le champion et l’organe. »

Le ministère de lord Derby ne résista pas au coup qui lui était porté. Quelques phrases à la fin du discours de M. Gladstone étaient une sorte d’adieu qu’il adressait, non sans une certaine mélancolie, au parti conservateur. Les liens qui l’y retenaient encore, relâchés depuis longtemps, venaient de se briser, et il se sentait entraîné désormais vers d’autres rivages. Quelques semaines plus tard en effet, le cabinet de lord Aberdeen, formé de whigs et de peelites, était constitué, et le 18 mai 1853 M. Gladstone, chancelier de l’échiquier, présentait son premier budget.

Les budgets sont comme les pièces de théâtre, ils intéressent surtout dans leur nouveauté. Cependant je viens de lire la plupart des discours prononcés par M. Gladstone sur les questions de